La compétence est le nom d’un projet pédagogique-politique étendu à l’ensemble de la société. Ce projet court de la maternelle à l’université (ce qu’on commence à entrevoir) : mais il ne se limite pas même à la question scolaire. Il est un concept social totalisant.

Jacques-Alain Marie, dans ces Thèses, établit la nécessité de prendre la compétence très au sérieux : il la traite comme un concept. Après la publication en novembre 2023 des thèses n° 1, 3, 4, 5, 6 et 7 (voir ici et ici), des thèses n° 8, 9, 10 et 11 en janvier 2024 (voir ici) et des thèses n° 16 et 18 récemment (voir et ), nous publions aujourd’hui, après un petit rappel de la « situation », les thèses n° 15 et 19.

Un tract récent signé du collectif Jeunes de la CGT 44 (Nantes) cerne très bien l’enjeu. Il est intitulé : « Renforçons la reconnaissance des diplômes nationaux face aux pièges des “compétences” patronales ». Et ce tract s’en prend lui aussi à la compétence comme à un concept (c’est-à-dire qu’il en fait quelque chose de très concret), en l’opposant à la qualification, au métier (ce que nous ferons à sa suite, un jour, dans la Thèse n° 13). (Et voir déjà ci-dessous, note 113.)

On peut s’étonner (ou pour le dire sans ironie : regretter ; constater tristement) qu’en revanche les syndicats d’enseignants – dans le primaire, le secondaire comme dans le supérieur (SNUipp, SNES, SNESUP, Sud-Éducation, etc.) – ne semblent toujours pas prendre la mesure de ce qui se joue avec le concept de compétence (dans l’ensemble de la société, comme aussi dans les classes et les amphithéâtres) et ne lancent toujours pas d’alerte un peu ferme et audible… Si les universitaires du SNESUP, par exemple, pouvaient lire un jour le petit tract des Jeunes de la CGT 44, ils prendraient (par le bas ?) une leçon (conceptuelle) (politique).

Nous rappelons qu’un « Appel contre les compétences » circule actuellement en France, et alentour, dans tous les lieux d’enseignements – de la maternelle à l’université. L’Appel est à lire ici. Il a déjà été signé par plusieurs centaines d’universitaires. Il peut être également signé électroniquement, . Il s’adresse à toutes les enseignantes et tous les enseignants, depuis la maternelle jusqu’à l’enseignement supérieur.

Nous rappelons enfin que les sections syndicales enseignantes peuvent signer cet Appel (certaines, au niveau local, l’ont fait) ; a minima elles peuvent utiliser leur puissance de réseau pour le faire circuler en direction de leurs militantes et militants, dans les établissements scolaires. (Par exemple dans les salles des professeurs, pour qu’au moins le mot de « compétence » soit discuté comme il le mérite – et se mette, enfin, peut-être, à clignoter un peu…)

SITUATION

Alors qu’une très large majorité d’enseignantes et d’enseignants semble sans réagir accepter la notion, voire la relaie (consciemment ou non) ; alors que les syndicats enseignants de gauche échouent complètement à faire s’élever une protestation contre ce concept (pourtant très évidemment néolibéral) (on a entendu des militants de SUD-Éducation le défendre) ; alors que des penseurs, de gauche eux aussi, s’en saisissent et l’acclimatent en se disant que peut-être ce n’est pas si éloigné de Freinet ; alors que dans les instituts de formation des enseignants (actuels INSPE) aucune voix critique ne se fait entendre distinctement (des critiques existent, mais restent vagues, et faibles) ; alors que les sciences de l’éducation ont joué dans le travail d’acclimatation « pédagogique » de la notion un rôle de premier ordre (à leur insu, apparemment…) –, notre but, par la publication de ces thèses, est de mettre en évidence les effets de la notion de « compétence » dans les discours et les pratiques de l’enseignement lui-même (et non plus seulement : dans les discours et les pratiques des gestionnaires de l’enseignement). Or c’est philosophiquement – et non pas seulement économiquement ou sociologiquement – qu’il nous semble nécessaire d’éclairer cette notion : d’où ces thèses – qui, précisément, cherchent à appréhender la compétence comme un concept. (Elles résultent de la mise en commun de contributions diverses – universitaires ou non –, dont les auteurs, actifs en France pour la plupart, signent collectivement sous ce nom inventé : Jacques-Alain Marie. Les angles d’approche du concept sont multiples ; on aura une thèse arendtienne par exemple, cohabitant sur le cercle avec une thèse deleuzienne. Une autre thèse est traduite de l’allemand. A été procédé à une unification stylistique, à quelques coupures que des redites nécessitaient – et à des renvois d’une thèse à l’autre, pour harnacher l’ensemble sur le cercle. La plupart des thèses sont placées sous l’autorité conceptuelle d’un auteur – vivant ou mort : cela n’implique donc pas que l’auteur en question soit l’auteur de la thèse écrite sous son nom [1].)

J.-A. Marie,

octobre 2023.

Thèse n° 15

La compétence
comme pédagogie ou technologie du bon comportement.
(Inculquer des dispositions,

des attitudes, etc.)

Sylvie Monchatre

C’est par définition, pour certains pédagogues, que la compétence est un comportement. « Selon Lévy-Leboyer, les compétences sont des répertoires de comportements [2]. » Selon Michel Develay, elles sont équivalentes à des « manières d’être et de se comporter [3] ». Plusieurs tendances de la pédagogie poussent à faire de l’acquisition de comportements le point d’aboutissement de tout enseignement.

1° C’est d’abord que l’enseignement ancien, nous dit la pédagogie, fait acquérir des savoirs et savoir-faire disciplinaires : mais quel gâchis, ajoute-t-elle, si c’est pour constater que les élèves ne savent qu’en faire, ou ne savent faire ce qu’on attend d’eux, une fois l’acquisition accomplie. En fixant comme objectifs, comme termes, à l’enseignement l’acquisition, non plus de savoirs ou de savoir-faire, mais de comportements, on s’assure que les savoirs et savoir-faire enseignés dans les disciplines sont effectivement mobilisés par les élèves, et mobilisés de la manière dont on souhaite qu’ils le soient. On place ainsi l’exigence que l’on se donne de l’enseignement au plus loin dans la chaîne, se dit-on : puisqu’on ne se contentera pas de vérifier trop haut en amont l’acquisition par l’élève de connaissances disciplinaires ; on vérifiera, plus en aval, des attitudes, des comportements – qui attestent de façon sûre que les connaissances sont non seulement acquises mais qu’est aussi acquise l’aptitude à les mobiliser, et à les mobiliser dans la direction attendue. « La notion de compétence s’inscrit indéniablement dans un problème majeur en sciences de l’éducation, celui du passage du savoir à l’action. Crahay rappelle […] qu’il s’agit d’un problème ancien chez les pédagogues, qui redoutent de transmettre des “connaissances inertes”, en quelque sorte stockées dans un répertoire de connaissances, mais non mobilisées dans les situations qui les requièrent [4]. » « C’est donc dans cette “mobilisation à bon escient” de ces savoirs et savoir-faire que repose le secret de la compétence et non dans leur seule détention [5]. » Autrement dit : une compétence n’est véritablement révélée, mise au jour, que comme comportement [6].

2° Ce parti pris fait fond par ailleurs sur le présupposé qu’un comportement est quelque chose de suffisamment ancré dans un individu pour ne pouvoir disparaître rapidement – comme disparaît de la mémoire au contraire, au grand dam des enseignants comme on sait, un « savoir » qui serait appris sans raison ; sans usage visible immédiat. Le comportement, se dit le pédagogue, s’ancre profondément dans l’être (de l’élève) : ainsi est-il donné à l’école l’opportunité de prouver son action plus efficace, plus durable, plus pénétrante sur les élèves, dès lors qu’elle est capable d’aller installer ses effets jusque dans leur être profond ; et non plus seulement dans leur savoir ou dans des capacités jugées superficielles – vite effacées [7]. Avec l’approche par compétences pensée comme inculcation de comportements, l’enseignement se donne bien pour tâche la « transformation en profondeur du sujet [8] ».

Si l’enseignement omettait de dire à l’élève ce qu’il avait à faire avec le savoir qu’on lui enseignait, la pédagogie, au contraire, en faisant déboucher le savoir dans le « pouvoir-agir » (compétence comprise comme comportement), décide toujours déjà en amont d’à quoi sert le savoir enseigné : quel bon comportement il est destiné à induire. Pour cette raison, même à l’intérieur des disciplines, la reformulation des programmes en termes de compétences aura cette ambition explicite : faire en sorte qu’on puisse exiger des enseignants que soit vérifiée la mobilisation effective de ce qui est enseigné, dans la direction attendue. Et l’on ne demande plus, à proprement parler, à ce que soit enseigné à l’élève le théorème de Pythagore : mais que soit vérifié que l’élève sait se comporter face au triangle rectangle de façon adéquate et correcte, muni du « pouvoir-agir » que le théorème (comme « savoir ») lui confère. « Sait appliquer le théorème de Pythagore pour déterminer par calcul dans le triangle rectangle le troisième côté de longueur inconnue. » (Pour cela – et pas pour autre chose : c’est ici le bon comportement.) (Et on aide considérablement l’élève en lui indiquant le bon comportement ; en changeant le savoir en ordre.) (Savoir, sans plus, est effrayant [9].) De même, pour les langues vivantes : non plus vérifier seulement que l’élève sache la conjugaison d’un verbe ou la page de vocabulaire (pour ensuite faire avec on ne sait quoi ; n’importe quoi peut-être ?…) : mais s’assurer qu’il « sait dans une situation quotidienne exprimer un souhait, un désir, une requête, un regret » ; « … qu’il sait commander un article en ligne ou dans un magasin… » ; « … qu’il sait exprimer sa satisfaction / son mécontentement à la suite d’un achat, etc. » ; « … qu’il sait exprimer ses émotions : surprise, enthousiasme, joie… » (Le bon comportement, pour la langue, est l’usage de celle-ci pour communiquer. La langue n’existe que mobilisée en situation linguistique de production ou de réception.) (« Qu’une compétence soit une disposition à un “faire”, voilà qui permet d’abord d’instituer une saine hygiène didactique. Son usage doit inciter les enseignants à réfléchir à ce qu’ils veulent que les élèves sachent faire à l’issue d’une leçon ou d’un cours [10]. »)

*

Pourtant la pédagogie par compétences, historiquement, est née d’objections avancées à l’encontre de la pédagogie par objectifs : quand celle-ci en vint à représenter une volonté – jugée finalement stérile – d’indiquer et de lister avec trop de précision les buts des enseignements [11]. L’approche par compétences, prenant acte des errements d’une cartographie des attendus trop poussée ou trop méticuleuse, mais aussi trop dirigiste, naissait d’un mouvement de recul : le concept de « comportement », plus englobant que celui de savoir-faire ou de capacité, était le moyen d’affiner le positionnement ; il s’agissait, en cessant de se perdre dans l’énumération détaillée des savoir-faire requis, de viser des dispositions plus générales. La pédagogie par objectifs multipliait les items dans les grilles et finissait par étouffer son efficacité dans le maillage de sa propre méticulosité [12]. On assiste au contraire, avec la compétence, à un « recul de la prescription [13] » – à une « montée en généralité [14] ». Sans doute se dit-on qu’on gagnera ainsi en liberté [15]. « Les programmes par compétence sont considérés comme une réaction aux programmes par objectifs […], qui auraient péché par “excès de zèle docimologique” : la décomposition à outrance des objectifs induisait un apprentissage en miettes à qui l’on a reproché son caractère taylorien. L’approche par compétence ferait, au contraire, la promotion d’une vision plus globale des objectifs et des apprentissages poursuivis […] [16]. » Et les pédagogues de la compétence, en effet, n’auront de cesse de répéter que la compétence a quelque chose de pertinent et d’efficace quand elle s’effectue à un degré plus englobant – et parvient à dépasser le simple pilotage de procédures et savoir-faire isolés [17] : et c’est dans des « compétences reines » ou « compétences-clefs » avec haut degré de généralité que cette approche prend toute sa portée (par exemple : « sait résoudre un problème de manière autonome » ; « sait apprendre à apprendre », « sait faire preuve d’esprit critique », etc. [18]).

Plus ouverte, une telle approche permet par ailleurs de déléguer la motivation d’apprentissage à l’individu. Le rôle de l’enseignant (accompagnateur) est de placer l’élève dans la situation canonique, générale (celle de l’attendu) : mais il revient à l’élève de développer par lui-même, si besoin accompagné, et toujours encadré, les réflexes nécessaires à la résolution des tâches dans leur particularité. « L’approche par compétence proposée par le ministère de l’Éducation du Québec suggère ainsi de déléguer à l’individu le développement de ses propres compétences [19]. » Tout cela pouvant s’organiser et s’implémenter sur un parcours de « renforcement positif », bien éloigné des schémas coercitifs anciens [20]. Il ne s’agit donc pas, par le truchement d’enseignements, de dresser l’élève à une liste de gestes nombreux qui seraient à coordonner entre eux extérieurement, comme voulut le faire la pédagogie par objectifs : mais de l’installer dans des situations considérées comme archétypiques, et de lui faire acquérir sur l’exemple de celles-ci la disposition qu’on souhaite lui voir adopter « en pareils cas », « en situations analogues ou semblables », etc. La compétence n’est pas un dressage ; plus généralegénéraliste –, elle invite aux bons comportements [21].

*

Un autre aspect important présida à l’apparition de l’approche par compétences, dans les années 1970 : on cherchait en effet à se donner les moyens de sortir des limitations que faisait peser sur la pédagogie l’orientation behavioriste de l’approche par objectifs : en ne s’appuyant que sur des capacités qui devaient être constatables objectivement, on s’interdisait par exemple de prendre en compte des dispositions plus générales, mais aussi plus « intérieures » – moins observables directement. L’approche par compétences « revendiqu[ait], au contraire, d’ouvrir la boîte noire des processus d’apprentissage au-delà des comportements qui attestent de leur acquisition [22] ». Avec la compétence en effet, on ne se contentera pas d’évaluer si un apprenant sait faire telle ou telle chose, accomplir telle ou telle tâche particulière et circonscrite : on vérifiera qu’il dispose d’une attitude générale adéquate dans tel ou tel domaine, face à telles et telles situations. On s’intéressera pour cela à sa bonne « disposition », à son « savoir-être » en situation : en « met[tant] en question la conception behavioriste des objectifs » et « en l’ouvrant sur une démarche faite d’emprunts au cognitivisme », l’approche par compétences « quitt[e] la surface des comportements pour regagner la profondeur des “démarches intellectuelles ou socio-affectives” qui, en amont, […] contribu[ent] à faire advenir ces comportements pertinents [23] ». Loin de reculer par rapport au programme comportemental, l’approche par compétences, en réalité, l’accomplit – en le poursuivant au-delà de limitations que la méthodologie précédente, strictement behavioriste, imposait [24].

Vont pouvoir alors être intégrés à la définition de la compétence – celle que par exemple donnera en 1983 Louis D’Hainaut – des éléments socio-affectifs, cognitifs, psychomoteurs : « C’est d’ailleurs ce même auteur [D’Hainaut] qui fournit au ministère la base de sa définition de la compétence au cours des années 80, en termes d’ “ensemble de comportements socio-affectifs ainsi que d’habiletés cognitives ou d’habiletés psycho-sensorimotrices permettant d’exercer convenablement un rôle, une fonction, une activité, une tâche ou une action complexe” (Dussault, 1988, p. 3) [25]. » Avec deux conséquences importantes : 1° Non seulement l’on va voir les pédagogues se pencher toujours plus avant sur les conditions cognitives et affectives d’implémentation des compétences disciplinaires : et c’est donc tout naturellement auprès des sciences cognitives et neuronales qu’ils vont chercher assistance et appui [26]. Mais 2° ce sont par ailleurs des compétences proprement comportementales (affectives, émotionnelles, sociales, etc.) qui vont se voir mises en avant – en adjonction aux seules compétences disciplinaires. Une telle tendance permet alors d’intégrer des comportements jusque là laissés en marge de l’observation par les enseignants des disciplines : ainsi par exemple des dispositions de créativité, de sensibilité, de motivation, etc. « Un document du ministère de l’Éducation du Québec, datant de 1983, […] mentionne que si les objectifs de performance ont l’avantage de la clarté, ils ont pour inconvénient de “se limiter aux comportements directement observables” et par conséquent d’écarter “certains apprentissages plus profonds [27]. » Or c’est bien le concept de comportement qui, en définitive, aura fait sauter le verrou – et ouvert l’enseignement et l’évaluation à tout un champ jusque là non appréhendé, et pour cause, par les enseignements disciplinaires. C’est en effet en s’autorisant à évaluer des comportements (même d’abord disciplinaires) (« sait en face du triangle rectangle mobiliser le théorème de Pythagore » ; « sait mobiliser son vocabulaire pour exprimer sa satisfaction, son mécontentement », etc.) que l’éducateur a pu s’autoriser ensuite à porter son regard, au-delà du disciplinaire, vers d’autres comportements (plus « généraux » ou « généralistes ») (ne relevant plus d’aucune fach-discipline) : des « compétences psychosociales » ou « compétences de vie » [28].

La compétence est bien en ce sens une technologie (comportementale) ; elle se donne pour but de produire des comportements [29]. Le caractère fondamentalement éthique de la compétence (en ce sens d’inculcation de bons comportements), transparaît parfois dans ses définitions. Ainsi dans celle donnée par Pallascio, pour qui les compétences sont des « dispositions de nature cognitive, affective, réflexive et contextuelle en vue d’une “action responsable” [30] ». Apprendre, c’est tout aussitôt et d’abord apprendre à se bien comporter [31].

Les situations. Entraînement, imprégnation. (Situations « authentiques ». La « vraie vie ».)

La pédagogie par compétences, si elle est bien comportementale, fonctionne de façon essentielle au conditionnement. Lui incombe d’accoutumer les élèves à certaines familles de situations – jugées importantes, voire archétypales pour « la société d’aujourd’hui ». On passe explicitement dès lors d’un paradigme de l’enseignement à un paradigme de l’entraînement (ou training) [32]. Il s’agit dès lors de « créer les conditions d’un “conditionnement opérant” [33] ». Autrement dit : on passe aussi d’un paradigme de l’enseignement de savoirs et de capacités (avec effectuations de tâches nombreuses et détaillées, destinées à exercer et certifier ces capacités) à un paradigme d’éducation à des attitudes ; des rôles ; des comportements ; des dispositions générales [34]. On procède pour cela par sensibilisation, à partir d’une situation. (On parle pour cette raison, non seulement d’« objectifs de comportement », mais aussi d’« objectifs de situation [35] ».)

Le pédagogue influent Jacques Tardif, avec ses deux collègues Poumay et Georges, propose le concept de « Situations d’Apprentissage et d’Évaluation » ou « SAÉ » : il s’agit explicitement de situations où l’on « immerge » ou « plonge » les apprenants, « pour leur permettre de développer et d’évaluer les compétences visées [36] ». Il s’agit d’un travail pédagogique de conditionnement [37]. La situation est définie comme le contexte au sein duquel l’apprenant est invité à développer des compétences adaptatives : la compétence, c’est exactement l’adaptation à la situation donnée. « Il est essentiel d’amener les étudiants à “générer des conduites adaptées face à des situations diverses et changeantes” (Chauvigné & Coulet, 2010, p. 16). Pour y parvenir, il convient de les plonger dans des situations différentes qui forceront cette adaptation [38]. » À l’encontre d’un dressage qui aurait à lister et inculquer chaque geste, pour chacune des tâches nécessitées, et qui pour être coercitif n’en serait pas plus efficace, la pédagogie de la compétence prend acte du bénéfice qu’il y a à passer à un degré de généralité supérieur et à travailler « en situations ». Car, s’il faut intervenir, dès lors, ce n’est plus que pour sélectionner, construire et programmer des situations (recensant celles qui répondent au mieux aux objectifs généraux des apprentissages, dans une société donnée) : « Définir un parcours éducatif pour les élèves, c’est programmer un ensemble de situations d’apprentissage portant sur plusieurs champs disciplinaires en veillant à assurer une cohérence entre toutes les disciplines […] [39]. » Or c’est bien dans la sélection et la cartographie, par les pédagogues, de ces situations typiques ou archétypiques que se réfugie l’impensé (idéologique) de cette pédagogie, par ailleurs si peu prescriptive et si ouverte : toutes ces « situations » archétypiques sont prises en effet à la vie quotidienne, à la « vraie vie » (qu’on reproche comme on sait aux disciplines d’ignorer). Tardif et Poumay-Georges parlent de situations « authentiques [40] » : ce sont des situations « réelles », c’est-à-dire prises en dehors de l’école à la société telle qu’elle est (au marché tel qu’il est) (au niveau d’avancement technologique tel qu’il est) (au niveau moyen d’« engagement » citoyen, tel qu’il est, etc. [41]). Or face à toutes ces situations le bon comportement est toujours un comportement adaptatif. Dans une telle pédagogie, ce sont donc les « situations » qui sont en elles-mêmes et de façon aveugle prescriptives.

Il n’est pas anodin que nombre de « situations » canoniques retenues répondent assez directement à des préoccupations de management des hommes (management économique et biopolitique), autrement dit de préoccupations apparaissant à l’agenda d’instances gouvernementales. Par exemple : la situation pédagogique primordiale « être devant un écran d’ordinateur pour faire une recherche », non seulement devient une situation archétypale (face à laquelle il convient d’inculquer les gestes d’un comportement « responsable ») (lutte citoyenne contre la mauvaise information) (on y invite dès le primaire), mais elle tend à devenir ce qui dans cette pédagogie est appelé la compétence « esprit critique » (critical thinking). Ainsi, l’esprit critique se trouve-t-il redéfini à partir de cette situation ; et asservi aux nécessités, contraintes (et limites) de cette situation [42].

Ouvrir l’école aux tâches « authentiques », aux situations de la « vraie vie », du « monde réel », de la « société telle qu’elle est », et considérer qu’enseigner revient à inculquer, dans ces situations, des comportements responsables : c’est dès l’école soumettre l’élève à la nécessité de s’adapter à ces situations sans à aucun moment être en mesure de les mettre à distance et de les interroger.

(La « vraie vie » ne peut être interrogée si c’est elle qui fournit et impose à l’enseignement le critère des bons comportements et des bonnes attitudes.)

Le pilotage idéologique se fait donc dans l’imposition et l’accoutumance à de certaines situations (considérées comme archétypales), tout au long d’un parcours [43]. On ne dresse pas l’individu. Mais on l’installe dans des situations archétypales ; familières ; normales ; normalisantes. « Les fins sont définies en termes de valeurs, qui elles-mêmes déterminent une “représentation de la personne bien formée”, à partir d’une représentation de son milieu et des rapports qu’elle est censée entretenir avec lui. Le curriculum doit se placer au service de ces valeurs, et de l’identification des “opérateurs” à privilégier en vue d’obtenir des résultats adéquats [44]. »

(C’est avec beaucoup de profondeur que les pédagogues de la compétence reprochent à l’enseignement des disciplines de ne pas partir des situations de la « vie quotidienne » et de la « vraie vie » ainsi entendue : car soumettre l’élève aux situations de la « vie quotidienne », c’est le soumettre – dès l’école.)

Conclusion

Situations ; imprégnations ; préparations au « milieu » à venir. « Le behaviorisme, contrairement à ce qui est abondamment prétendu, n’est en aucun cas une chose du passé ; il est plus vivace que jamais, mais dans une forme qui n’est plus celle, grossière, de ses débuts [45]. » « En cela, loin de substituer un nouvel ancrage théorique à l’approche behavioriste, elle [l’approche par compétences] représente plutôt une hybridation de l’architecture théorique qui prévalait. Son développement atteste ainsi d’un relatif continuum, plus que d’une rupture, avec les technologies des objectifs antérieures [46]. »

Les bons comportements, ou comportements responsables, figurent ainsi disséminés dans les divers socles et référentiels, aux différents étages de l’édifice scolaire. Nous en donnons ci-dessous une liste sans ordre. (C’est fondu dans des comportements – c’est formulé « en termes de comportement » – que le savoir est de façon sûre domestiqué ; il y est converti en injonctions.)

« Respecter ses engagements, travailler en autonomie et coopérer, s’impliquer dans la vie de l’école et de la classe [47] » / « Avoir le sens de l’intérêt général [48] » / « comprendre l’importance du respect mutuel et accepter toutes les différences [49] » / « Coopérer ou mutualiser [50] » / « exercer une citoyenneté responsable, en particulier dans les domaines de la santé et de l’environnement [51] » / « construire sa relation au monde, à l’autre, à son propre corps [52] » / « Se sentir membre d’une collectivité [53] » / « bien vivre ensemble [54] » / « S’engager et assumer des responsabilités dans l’établissement et prendre en charge des aspects de la vie collective et de l’environnement et développer une conscience civique, sociale et écologique [55] » / « Se connaître soi-même [56] » / « intégrer les évolutions des domaines social, économique et technologique [57] » / « Construire le respect de soi [58] » / « S’estimer et être capable d’écoute et d’empathie [59] » / « [développer des] comportements responsables dans le domaine de la sexualité : fertilité, grossesse, respect de l’autre, choix raisonné de la procréation […] [60] » / « mettre en place un véritable parcours civique […], constitué de valeurs, de savoirs, de pratiques et de comportements dont le but est de favoriser une participation efficace et constructive à la vie sociale et professionnelle [61] » / « être éduqué à la sexualité, à la santé et à la sécurité […] [62] » / « acquérir une conscience citoyenne en apprenant le respect des engagements envers soi et autrui, en adoptant une attitude raisonnée fondée sur la connaissance, en développant un comportement responsable vis-à-vis de l’environnement et de la santé [63] », etc. [64]

Nota Bene n° 1. Reconduction du modèle comportemental au niveau du « personnel enseignant ». Les compétences des professeurs comme postures efficientes, attitudes adéquates, bons comportements.

Dans le discours des formateurs est de plus en plus fréquemment mise en avant la nécessité pour les enseignants d’acquérir des « gestes » nouveaux, des « attitudes » ou « postures » adaptées aux nouvelles conditions – soit : des comportements. « Quels gestes mettre en place pour suivre au mieux l’évolution des apprentissages de chacun de vos élèves [65] ? » « Des contenus sur les gestes et les postures spécifiques à l’enseignement en maternelle vous attendent sur notre plateforme […] [66]. » « Chacun de ces leviers a son importance et demande, effectivement, des gestes professionnels [67] ». Et c’est bien sous la forme de compétences comportementales normalisantes que les tâches des enseignantes et enseignants sont désormais appréhendées dans le référentiel de compétences du métier, entré en vigueur en France en 2013 [68]. C’est sinon toute au moins une immense partie de la littérature « pédagogique » sur la formation au métier d’enseignant qui a basculé dans le vocabulaire d’une technologie comportementale. « Vous devez donc adapter vos gestes et pratiques professionnels au quotidien pour […] engager activement [vos élèves] dans les apprentissages [69]. » Les injonctions faites aux enseignants en termes de gestes et de comportements sont dès lors permanentes. « J’encourage les professionnels à […] intégrer, finalement, ces nouveaux gestes professionnels dans leurs pratiques [70]. » « Elles [les formatrices] vous indiqueront également quels gestes professionnels mettre en place […] [71]. » Un autre pédagogue, spécialiste de la « posture » d’autorité, explique la nécessité d’acquérir des « microgestes [72] ». Certains ont même entrepris sans tarder une classification et cartographie rigoureuse des postures [73]. Et si les pédagogues parlent de la nécessité d’acquérir une nouvelle « culture » professionnelle (« nouvelle culture de l’évaluation [74] », etc.), c’est qu’il s’agit là de dispositions et de postures comportementales qui sont (au contraire d’un savoir) acquises par « acculturation », c’est-à-dire par « imprégnation » ; par « mises en situation » ; par « conditionnement » ; par « sensibilisations » ; etc.

Autrement dit, la technologie comportementale des compétences se redouble : elle vient s’appliquer, dans le même temps qu’on l’applique aux élèves, aux enseignants. Et les gestes et bons comportements qu’on destine aux élèves, il convient tout aussi bien que l’enseignant se les applique à soi [75]. La tâche de pilotage du pédagogue ou du scientifique de l’éducation, en surplomb par rapport aux activités d’apprentissage et d’enseignement, revient alors à mettre en concordance les comportements des élèves et les comportements des enseignants (voire de tous les membres de la communauté éducative [76]) : dans le sens d’un bon enchâssement réciproque – ou crantage – des comportements. Par exemple : « L’enjeu est de contribuer à l’intelligibilité des comportements des élèves, c’est-à-dire d’expliquer et de justifier leurs actions et leurs réactions au comportement évaluatif du professeur [77]. » Il s’agit, dans la logique de cette technologie comportementale, de comprendre « comment les postures des enseignants induisent celles des élèves, et réciproquement [78] ».

Or il s’agit bien, en encourageant à ces gestes, microgestes, postures, rôles, attitudes, dispositions, de fabriquer un nouveau sujet enseignant (sujet parfait moralement : empathique, bienveillant, dynamique, modeste, créatif, aidant, etc.) (et sujet fonctionnel : apte au travail d’équipe, à la co-éducation, à l’écoute, à la flexibilité) (capable, enfin, de prendre soin : des autres, et de soi) (résilient). Il est question, dans le domaine de la formation des enseignants, d’« une véritable révolution des regards, postures et gestes professionnels [79] ». Les formateurs, appuyés sur les référentiels, travaillent activement à la fabrique de ce sujet nouveau. Or c’est à une nouvelle « culture » professionnelle qu’on travaille ainsi : contre les ethos bigarrés des enseignants anciens et spécialisés chacun dans une discipline, il s’agit de faire acquérir un ethos commun, médian, moyen : la « culture » du bon enseignant en général – la « culture commune » de l’enseignant. (Comme il y a une « culture scolaire » en général, dit-on : cf. Nota bene n° 2 ci-dessous). « … tous les personnels concourent à des objectifs communs et peuvent ainsi se référer à la culture commune d’une profession dont l’identité se constitue à partir de la reconnaissance de l’ensemble de ses membres [80] ».

*

« Tout cela ne sera pas facile… [81] » / « … c’est un réel changement de paradigme historique à l’intérieur de l’institution scolaire. » (ibid.) / « … cela ne va pas de soi, cela va demander des efforts aux professionnels. » (ibid.) / « J’encourage les professionnels à persévérer dans cette dynamique et à intégrer, finalement, ces nouveaux gestes professionnels dans leurs pratiques. Ils vont s’en trouver énormément enrichis. » (ibid.) / « Donc les professionnels dans l’école, et particulièrement les enseignants, ne sont pas habitués à cette posture […] il va falloir qu’ils prennent un certain nombre de postures différentes […]. » (ibid.) / « … petit à petit, avec le changement de posture, les professionnels vont être amenés à développer des gestes professionnels… » (ibid.) On commence par mettre en avant les difficultés – les obstacles. Les acteurs, face à la nouveauté, sont dans une situation de faiblesse, de fragilité. (D’autant qu’on sait les enseignants, par nature, peu enclins au changement.) Mais la nouvelle technologie comportementale leur vient en aide aussitôt : elle est d’abord bienveillante – vient prendre soin d’eux, leur servir d’appui, dans une telle situation de fragilité. Pourtant elle se fait autoritaire au besoin. Si les « gestes » en question ne sont pas compris et acceptés par l’enseignante ou l’enseignant pour ce qu’ils sont (des aides qu’on veut bien leur apporter, pédagogiquement), le pédagogue sait changer de ton. Il rappelle alors que ces gestes sont aussi et surtout des injonctions administrativement encadrées, inscrites aux référentiels – non négociables. Et la même pédagogue qui commençait en se plaçant en posture d’« aidante » à l’égard des enseignants (« Tout cela ne sera pas facile… »), dans le cours de son propos cite le texte de loi contraignant : ces comportementalités nouvelles sont « une part du métier », nous dit-elle, et non « une posture optionnelle ou relevant du volontariat » ; et ces bons comportements, gestes et microgestes, ces postures – si ingénument et gentiment listés dans les référentiels par les pédagogues, pour aider – seront si besoin, le moment venu, administrativement imposés au fonctionnaire enseignant [82].


Nota Bene n° 2 : Apprendre à devenir élève ? Ou : Apprendre à devenir mathématicien, musicien, physicien, historien, biologiste, poète, sauteur en long, etc. ?Apprendre « à apprendre » ou apprendre « quelque chose ». [Suivi d’une remarque sur la « culture scolaire ».]

À l’école où l’on enseigne, on apprend à devenir-mathématicien (quand on fait des mathématiques), poète (quand on fait un poème), historien (quand on fait de l’histoire), footballeur (quand on fait du football), etc. Pour les pédagogues en revanche, ce qui à l’école importe bien davantage (que les mathématiques, que les poèmes, que le football), c’est apprendre à apprendre ; et c’est apprendre à devenir-élève : « … il s’agit que les élèves se perçoivent en train d’apprendre à apprendre. Cela va […] les aider à comprendre l’école et à se comprendre comme des individus qui apprennent. Ils apprennent ainsi à devenir élèves [83]. » Ce devenir-élève, cette injonction à se comporter d’abord et avant tout comme élève (indépendamment de tout contenu), donne bien l’horizon de cette « montée en généralité » que nous avons observée à l’œuvre dans la pédagogie de la compétence. Et si « apprendre à apprendre » est en passe de devenir une compétence-clef des référentiels actuels, c’est qu’elle est la compétence du devenir-élève par excellence : une compétence qui a l’insigne privilège de ne se trouver empêtrée dans aucune discipline (dans le carcan d’aucune discipline), et même de ne renvoyer à aucun objet. L’enseignement perd toute transitivité (tout objet) : « …. il s’agit que les élèves se perçoivent en train d’apprendre à apprendre » (ibid.). Avec le devenir-élève, ce que l’élève observe et regarde, c’est lui-même. (Construction d’un aveuglement au monde.)

On sait que certains élèves ne manquent nullement d’intelligence ni de savoir – mais échouent faute de comprendre ce que l’enseignant attend d’eux. (Ainsi l’exemple d’une petite fille qui au lieu de faire le calcul requis, à la question de savoir combien de pots de peinture sont nécessaires pour repeindre les murs de la classe, répond qu’on peut bien commencer à peindre avec les pots qu’on a, et qu’on pourra toujours en aller quérir d’autres chez le marchand, si la peinture vient à manquer [84].) Les pédagogues remarquent qu’il y a là un obstacle – constitué par ce qu’ils appellent « culture scolaire » : la petite fille ne comprend pas qu’on doive raisonner autrement à l’école (face à l’exercice) que dans la vraie vie. Les pédagogues, conscients qu’intervient ici de surcroît un facteur d’inégalité sociale (on est selon son origine plus ou moins proche de la culture scolaire), expliquent la nécessité d’aider certains élèves à assimiler ces codes et comportements – arbitraires, implicites – propres aux activités demandées. Apprendre à apprendre – ou apprendre à devenir-élève – serait précisément la manière de s’assimiler cette « culture » scolaire qui sans cela fait obstacle [85]. Or s’il est indéniable qu’existent de tels codes implicites et qu’ils sont possiblement discriminants, parler de culture « scolaire » au singulier est une manière d’unifier sous ce nom divers ethos, diverses dispositions générales, qui ont certes à être enseignées (et explicitement si besoin) (et explicitement autant que possible), mais qui sont des dispositions propres à des disciplines, multiples et diverses. Ce qui manque à la petite fille dont parle Bernard Rey, c’est dans ce cas l’ethos du mathématicien ; et c’est cet ethos que le cours de mathématique doit lui enseigner en effet, avec le reste [86].

Si l’on enseigne par disciplines – et non par compétences –, on s’autorise à enseigner alors des comportements multiples et bigarrés (ethos propres à chaque discipline). Devant le même objet, l’enseignant de mathématiques, de biologie, de lettres, d’histoire, de sport, se comporte très différemment ; et l’élève, dans chacune des disciplines, apprend ces divers comportements : est-il autorisé, là, à sortir le compas, ou non ; à sortir, ici, le dictionnaire, ou non ; etc. C’est selon la discipline… Car si l’école enseigne possiblement des comportements – alors des comportements fach-disciplinaires, que ne saurait réglementer aucune « culture » scolaire unifiée. (Ce qui fait obstacle, chez certains élèves, et que l’enseignant se doit évidemment d’aider à surmonter, c’est précisément le geste de déplacement, par rapport à la vie normale, que constitue tout regard fach-disciplinaire [87].)

Nous avons insisté ailleurs [88] sur la bigarrure de ces ethos fach-disciplinaires : mettant en regard l’ethos d’un ornithologue et celui d’un biologiste moléculaire ; celui d’un enseignant de lettres classiques ou d’un enseignant de cinéma américain (afin de montrer que même au sein d’une discipline peuvent cohabiter des ethos et des « cultures » différentes voire antagoniques). Que fait-on à un élève qu’on envoie dans une école ? On le met précisément au contact de toute une faune d’enseignantes et d’enseignants, de toute une diversité d’ethos disciplinaires différents [89] : et c’est à la diagonale de tous ces ethos que l’élève s’invente – par imitation ; par répulsion ; par déviation ; par aimantation ; etc. [90]

*

Dans l’exemple de la petite fille, tel que Bernard Rey le présente, la « culture scolaire » est un obstacle. Pour cette raison, la culture, ainsi appréhendée, n’est pas quelque chose qu’on enseignerait pour elle-même et positivement : elle n’est que ce dont le manque handicape et entrave. Dans la logique de la compétence, on n’enseigne plus que négativement – puisqu’on n’enseigne plus que pour faire disparaître un empêchement. On enseigne ce dont l’absence nuit [91].

Nota Bene n° 3 : Le « bon comportement » auquel prépare la compétence n’est pas seulement intégration au monde économique – c’est aussi le comportement du bon citoyen.

Les sociologues, dans leur appréhension de la compétence, restent le plus souvent focalisés sur la question « formation-emploi », c’est-à-dire sur la question du marché du travail [92] : et ce faisant négligent le fait que la compétence est aussi, et dans le même temps, une fabrication du « bon citoyen ». Or si la compétence est le nom d’une technologie sociale, c’est dans un sens plus vaste que ne peut le dire le concept de capital humain. La compétence, comme technologie comportementale, ne prépare pas qu’au travail [93].

Thèse n°19

La compétence
et le marché capitaliste du travail


(La compétence pousse à son terme
le procès d’abstraction et de désobjectivation du travail.
Elle accomplit l’aliénation du sujet,
celle-ci pensée non comme perte de soi
– mais comme perte de l’objet,
perte du monde.)

Marx/

Fischbach

« … ce n’est pas en s’objectivant que les travailleurs s’aliènent, mais au contraire en étant rendus gegenstandslos, c’est-à-dire en étant désobjectivés, réduits à la pure capacité subjective de travail. »

Frank Fischbach, Sans objet, p. 63

« sans objet l’homme n’est rien »

Feuerbach

Du capitalisme, Marx dit qu’il est un mode de production dans lequel le travailleur, possédant une force de travail abstraite, la vend librement (contre salaire) à ceux ayant le pouvoir de la concrétiser : c’est-à-dire à ceux possesseurs, dans le monde, des objets permettant l’effectuation du travail (matières premières, lieux et moyens de production, etc.). Le travailleur, sur le marché capitaliste, est un pur sujet : 1° il est sujet car il n’est pas esclave, mais libre : il n’est pas lui-même marchandise, objet qu’un maître peut vendre ; lui-même vend une marchandise (sa force de travail) ; or il faut qu’il soit sujet pour pouvoir entrer avec celui qui l’emploie dans un rapport contractuel [94]. 2° Il est un pur sujet, dans le sens où il est un sujet sans objets, un sujet détaché de tout objet : ce qu’il vend (sa force de travail) n’est pas un objet ; et il n’a, dans son travail, plus de rapport qu’avec des objets qui lui sont étrangers (la matière et les moyens de production ne sont pas les siens ; l’objet qu’il produit lui est aussitôt repris). Enfin, il ne fait dans son travail usage des objets que dans un sens qui ne lui appartient pas, sur lequel il n’a aucune prise. Le capitaliste a acheté sa force de travail : c’est lui, dès lors, qui décide, pour les objets, de l’usage qui en est fait.

Au terme du processus, que reste-t-il du travailleur ? Rien d’autre qu’une pure activité, c’est-à-dire une pure force abstraite de travail ne possédant pas la moindre des conditions objectives permettant son actualisation [95].

Le capitalisme fonctionnera donc d’autant mieux qu’il aura affaire, sur le marché du travail, à des travailleurs toujours plus « sujets » – et toujours plus « abstraits », c’est-à-dire toujours plus détachés des « objets » et de toute « objectivité » [96] : l’ouvrier devient « un être séparé de la matière et des moyens de son travail, séparé des conditions objectives de la réalisation de sa force de travail […], un […] être séparé de l’objectivité [97] ». Or la compétence, concept forgé par et pour le marché du travail capitaliste, est un opérateur qui a exactement pour fonction d’accompagner, en le poussant à son comble, ce « processus d’abstraction [98] ». Intrinsèque au capitalisme, ce processus n’a certes pas attendu pour s’engager l’introduction et l’expansion du concept de compétence (dans les années 70-80 du XXe siècle), mais tout se passe comme si ce concept en donnait un point d’aboutissement. Le diplôme, le métier, rattachaient en effet de manière encore trop serrée le travailleur à un milieu particulier : à un parcours de formation ou d’étude (dans une discipline particulière, dans un domaine donné) ; à des objets et des matières ou matériaux de prédilection (propres à ce métier, propres à ce chemin d’étude et d’apprentissage). (Un menuisier par exemple : ses outils particuliers, et sa matière, qui est le bois ; un fraiseur : sa machine, son métal ; un bibliothécaire : ses livres, ses archives, etc.) Le diplôme, ou qualification, produisait un possible attachement à un corps de métier (avec ses institutions et habitudes particulières) (avec ses protections – juridiques, salariales). La compétence se comprend comme moyen de dépasser cette logique (ou carcan) – elle fait du travailleur un « pur sujet », « simple possesseur d’une force purement subjective de travail [99] ». Le but, du point de vue de l’employeur, est certes d’obtenir une flexibilisation plus poussée : un travailleur diplômé ou attaché à une activité par sa formation et sa qualification ne pouvait que difficilement être réemployé ailleurs (hors de son métier), lors même qu’il possédait pour certains autres emplois les capacités abstraites (compétences) requises ; en dépassant ce carcan, en redéfinissant la force de travail sous forme de compétences détachées de tout domaine, on crée la possibilité pour un employeur d’aller chercher sur le marché du travail un travailleur répondant à sa demande, y compris s’il provient d’un autre domaine de qualification (d’un domaine où l’on a affaire à de tout autres objets) ; et réciproquement le travailleur, s’il accepte de faire abstraction de ses objets habituels (ceux que lui ont rendu familiers son apprentissage, ses études, son métier, etc.), augmente son espérance de trouver un lieu où actualiser sa force de travail (désobjectivée). Mais en accomplissant cette flexibilisation, la logique de la compétence accomplit une étape supplémentaire dans le « processus d’abstraction » évoqué ci-dessus : le travailleur, quand il se présente à l’employeur, ne se présente plus à lui que comme le « support abstrait d’une pure puissance de travail [100] » rendue détachable, indépendante de tout objet. (La compétence accomplit en ce sens une coupure… Elle coupe les sujets du monde…)

La redéfinition de la force de travail en terme de compétences, son découplage d’avec les catégories de la qualification et du métier, permettent une clarification pratique (une flexibilisation) du marché du travail : lequel devient un marché où les marchandises en circulation sont précisément des compétences (portées par des travailleurs) (achetées par des employeurs sur des durées de temps déterminées par contrat). Or cette redéfinition en terme de compétences vient bien pousser à l’extrême le processus d’abstraction et de désobjectivation à l’œuvre dans le capitalisme, quand « l’activité productive humaine est […] coupée, séparée de ses objets et de sa propre objectivité » : et qu’elle ne vaut plus « que comme dépense d’une force purement subjective [101] ».

« Instituer le travail dans la figure de la simple capacité de travail » (et c’est bien là le geste accompli par la compétence) « est donc un acte majeur au sein d’un procès qui en comporte d’autres […] [102]. » Et s’il y a aliénation du travailleur sur le marché du travail capitaliste, ce n’est donc pas en tant que le travailleur s’y trouverait « objectivé » ou « réifié » (transformé en objet ou en chose, en marchandise), et qu’il y perdrait son « soi », son être de « sujet » : puisque tout au contraire, comme le montre Franck Fischbach, l’aliénation consiste dans le fait que le travailleur, contraint de se détacher de tout objet, contraint de s’abstraire, devient un « pur sujet » [103].

*

Or que fait de son côté la pédagogie de la compétence sinon préparer, dès l’école, à cette abstraction – à ce détachement de l’objet et du monde, à cette « libération » ? Que fait-elle sinon contribuer à la fabrication du « pur sujet » ?

Dans la logique de transférabilité qui est la sienne, il est en permanence requis en effet d’abstraire la compétence – c’est-à-dire de la détacher du lieu même où elle a été enseignée : de telle leçon particulière, de telle discipline, de tel champ de savoir institué – et surtout du lieu même de l’école : la compétence ayant pour destin de toujours pouvoir être utilisée un jour ailleurs [104]. Or cela n’est possible que si l’on parvient à la détacher de tout objet particulier ; que si elle est par conséquent, au même titre que la force de travail (dont elle est la préparation), « dépourvue de tout contenu substantiel [105] ». Il faut qu’inlassablement la compétence, pour pouvoir s’actualiser le plus efficacement possible dans chacun des nouveaux lieux où on aura besoin de la faire fonctionner, sur chacun des objets nouveaux sur lesquels elle devra – toujours provisoirement, et comme indifféremment – s’exercer, se soit d’abord abstraite de tout lieu, de tout objet. La pédagogie de la compétence, dans son mouvement, est parfaitement homogène au « processus d’abstraction » observé pour le marché du travail : elle réalise, fondamentalement, pour le carcan des disciplines et des champs de savoir, et parallèlement à lui dans l’école, ce que le management a accompli pour le carcan des métiers et des diplômes sur le marché du travail. Pour cette raison on ne peut s’étonner qu’aux fameuses dénégations des pédagogues arguant qu’il faut bien cependant un objet pour exercer une compétence, et qu’il est donc faux de prétendre qu’on n’enseignerait plus de connaissances ou qu’on se passerait d’objets, de contenus, répondent en écho des argumentations du même type, sur le marché du travail, dans le champ de la production capitaliste : « … le travail ne peut pas vivre sans objets sur lesquels il s’exerce [106] ». Ici comme là, il faut bien cependant – toujours – un objet (sur lequel, à l’école, exercer, entraîner et faire évaluer sa capacité) (sur lequel, dans le monde de la production, concrétiser et actualiser la force de travail qu’on achète, pour lui faire produire de la richesse). Il faut toujours un objet, certes, mais un objet devenu dès lors indifférent : 1° on acquiert des compétences en se donnant un objet d’« exercice » (il en faut un, on ne s’exerce pas dans le vide) ; mais cet objet est indifférent [107] ; 2° On fait de l’argent en investissant sur tel objet : mais celui-ci est indifférent (A-M-A’). Il y a donc une parfaite continuité – et c’est une continuité de structure – entre ce qui se passe dans le champ scolaire et dans celui du marché du travail : dans les deux cas, la compétence abstrait – elle détache les sujets des objets : pour libérer et pour flexibiliser. Mais en le détachant des objets la compétence laisse le sujet devenir pur sujet, un sujet que l’on contraint à être sans objets (à demeurer libre de tout objet). Remarquons que même dans les formations professionnelles, la compétence tend vers « une déspécialisation et une décontextualisation des savoirs pratiques » ; elle prépare un « producteur abstrait [108] ».

Il y a donc une naïveté considérable, chez les pédagogues, à croire qu’il leur serait possible de dégager un concept de « compétence » qui soit indépendant de la logique capitaliste… Car la logique de la compétence est au plus profond liée à la logique capitaliste. « C’est […] bien le capital lui-même qui détermine à l’avance “le rapport du travailleur à sa propre activité” ; or ce rapport est en l’occurrence un rapport qui se présente et se réalise effectivement comme séparation, abstraction et renversement [109]. »

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On peut relever deux grandes conséquences de cette « perte du monde » ou « perte de l’objet ».

1° D’abord, une perte de puissance. Le travailleur devenu pur sujet n’a plus prise sur les objets ; il n’a plus prise sur le monde. Il est de plus en plus à la merci de ceux qui possèdent au contraire un rapport encore réel aux objets du monde. « … cette figure du sujet retiré et évidé […] est aussi, en raison même de son retrait, de son repli et de son évidement, un sujet impuissant, soumis à la logique du Capital dans l’exacte mesure où lui ont été soustraits tous les points d’appui susceptibles d’étayer une résistance possible [110] ». Privé de lieu et d’objets, il rejoint alors la « masse », au sens de Marx, « en tant que cette dernière désigne des hommes réduits à la possession d’une pure capacité abstraite de travail, […] radicalement séparée des conditions objectives de sa propre mise en œuvre effective [111] ». Mais l’écolier de même, que par la logique de la compétence on détache et retire du monde à mesure qu’on le centre sur soi, subit une perte de puissance en ce monde. Il est réduit à lui-même. Il est dépossédé des objets du monde. (Les arbres, les poèmes, les théorèmes, les mots des langues passées et présentes, etc., ne sont plus là comme ses objets possibles [112].) Or « un être qui n’a pas d’objet en dehors de lui n’est pas un être objectif (…) ; un être non objectif est un non-être [113] ».

2° Cette désobjectivation, outre l’impuissance, produit un assujettissement. Moins le sujet est en mesure de se rapporter à des objets, plus il est assigné à lui-même : et plus il est assigné à lui-même, plus il laisse prise à un pouvoir sur lui : de sorte que le sujet pur – sans objectivité – est toujours le plus et le mieux assujetti [114]. La compétence, en tant que « dispositif » ou « machine qui produit des subjectivations », fabrique donc elle aussi de l’ « assujettissement [115] » – et cela, dans le même temps où dans les discours se répand un éloge convenu et tous azimuts de l’autonomie : quand partout le sujet est amené à prendre en main ses apprentissages, sa formation, sa carrière, à se penser comme le plus actif et le plus autonome. Sans objet, son autonomie est pur assujettissement volontaire et voulu : « dans les conditions modernes (c’est-à-dire capitalistes ou “bourgeoises”) de la production, cette production de soi en tant que sujet est exactement l’inverse d’un accomplissement et d’une réalisation [116]. » Le sujet ne peut que vouloir toujours plus vendre sa force abstraite de travail, au plus offrant. Que pourrait-il vouloir d’autre, désirer d’autre, étant désormais « sans objet » ?

On voit alors comment s’obtient le sujet aliéné : contraint d’abandonner sa propre dimension d’objectivité, privé de sa passivité, il peut alors en effet se concevoir comme purement actif, il peut saisir l’activité comme la condition essentielle de son être. Mais cette pure activité signe son impuissance définitive car elle est en elle-même privée des rapports à l’objectivité qui sont pourtant indispensables à sa propre mise en œuvre. Et comme on ne connaît pas de « sujet » qui ne s’attribue à lui-même la dimension de l’activité (quand ce n’est pas l’activité absolue, celle de l’auto-position) comme le trait qui le caractérise essentiellement (et qui permet de le distinguer du mode d’être de ce qui n’est pas lui, à savoir l’objectivité), on peut légitimement se demander si la conception de soi en tant que sujet n’est pas le plus sûr indice de l’aliénation [117].

Ce processus est lié à ce que Fischbach analyse comme un transfert de la passivité au-dehors du sujet : le sujet devient pure activité – ce qui a précisément pour conséquence de le priver de sa passivité. « Il apparaît alors que l’aliénation ne consiste pas en ce qu’autre chose que moi soit actif à ma place, mais bien plutôt en ce qu’autre chose que moi soit passif à ma place, en ce que je sois séparé de ma propre passivité, en ce que mes affects ne soient plus les miens et qu’ils me deviennent non seulement extérieurs, mais étrangers [118]. »

Si le corps social est à ce point docile et soumis, c’est parce qu’il a été dépossédé de tout moyen lui permettant d’exercer une maîtrise et de déployer une puissance propres. Or cette dépossession des conditions de l’exercice d’une puissance propre est l’effet même des dispositifs en tant qu’ils produisent de la subjectivité : en tant qu’ils engendrent des processus de subjectivation, les dispositifs produisent des êtres qui sont sujets non pas seulement dans la mesure où ils sont assujettis, mais d’abord dans la mesure où ils sont des subjectivités abstraites, séparées, coupées des lieux, des milieux, des moyens et des conditions sans lesquels ils ne peuvent plus déployer aucune puissance d’agir propre, ni exercer aucune maîtrise active de leur propre vie [119].

… le sujet retiré du réel, le sujet désobjectivé, vidé de toute substance n’est autre que le sujet produit par le capitalisme parce que c’est le sujet qui lui convient et qui est homogène à son fonctionnement […]. [120]

Or le concept de compétence est l’opérateur de cette déréalisation, de cette désobjectivation – de cette assignation à soi.

« C’est cette existence subjective du travail séparé de toutes les conditions objectives de sa propre réalisation qui avait conduit Marx à l’idée du “travail comme la pauvreté absolue”. »

Franck Fischbach, op. cit., p. 190.

« … ce complet dépouillement (Entblößung), c’est l’existence purement subjective du travail, démunie de toute objectivité, le travail comme pauvreté absolue (absolute Armut) – la pauvreté non comme manque, mais comme exclusion totale de la richesse objective »

Marx, Grundrisse (1857-1858), cité par Fischbach, op. cit., p. 167.

Nota bene n° 1. Une autre conséquence de la perte de l’objet. (Une remarque sur les ethos – ou remarque éthique.)

Un individu formé à un métier entretient des relations avec une multitude d’objets (matériaux, outils) – ceux-là même du domaine sur lequel son métier étend sa juridiction : et sans doute ne pourrait-on, sur ces objets, avec ces objets, lui faire faire tout à fait n’importe quoi. C’est que ces objets ne sauraient lui être entièrement indifférents, ne serait-ce que parce qu’ils sont « les siens », sont ceux de « son domaine ». On peut parler en ce sens d’un rapport éthique aux objets, inhérent à un métier, comme à une fach-discipline. (Serait désigné par là, non pas une série d’intimations explicites, de préceptes commandant l’action : mais un certain ethos général, un certain réseau d’égards et d’attentions, engageant implicitement certains comportements typiques en face de tout ou partie des objets d’un domaine : le fraiseur a en ce sens un certain rapport éthique au métal qu’il travaille ; le boucher à la viande, à la carcasse, à la bête tuée ; le menuisier au bois travaillé, etc. [121]).

Embauché sur la base d’une qualification que venait attester un diplôme, sur la base d’un métier, le travailleur apportait avec lui un ethos, une certaine relation à des objets (une certaine cura [122]), laquelle structurait et limitait le champ des possibles. Il en va tout autrement maintenant qu’embauché au contraire sur la base de compétences abstraites – c’est-à-dire précisément détachées des lieux et des objets de sa formation initiale, de son métier –, le travailleur vend une « pure force abstraite de travail [123] », et signe pour ainsi dire un blanc-seing à son employeur sur la destination, l’usage, de celle-ci. « C’est ce que Marx veut dire en ne cessant de répéter que “en tant que valeur d’usage, le travail appartient au capitaliste” [124] ». La force de travail du travailleur est abstraite : elle n’a donc pas d’orientation propre. Elle sera entièrement à la merci de ce qu’en veut faire celui qui l’achète. Les aptitudes du travailleur à organiser, gérer, mener, conduire (aptitudes abstraites, détachées de tout objet) (devenues « compétences ») pourront justifier qu’on le mette au service de tâches allant possiblement à l’encontre du rapport que son métier avait construit, affermi, entre lui et ses objets (parfois lentement, comme on s’apprivoise). La violence constatée à l’égard des objets dans le monde (arbres, villes, paysages, bois, pentes du sol, animaux, personnes, etc.) s’explique sans doute en grande partie par le fait que plus aucun métier n’est en mesure de donner un cadre éthique (dans le sens décidé ci-dessus) aux rapports du travailleur aux objets. Quand l’employeur embauchait le spécialiste d’un métier, le représentant qualifié d’une discipline, il faisait entrer avec l’employé un certain rapport éthique au monde. En achetant maintenant la compétence de l’employé, il peut court-circuiter ce carcan. « En achetant le travail en tant que simple capacité ou faculté, le capital a également déjà acheté l’usage qu’il va en faire [125] ». Le monde, dès lors, est livré à des travailleurs disposant d’une capacité de travail devenue purement abstraite – c’est-à-dire détachée du monde : sans égards possibles pour le monde.

Ce résultat est la figure d’une subjectivité à ce point coupée et séparée du réel, étrangère au monde, qu’elle n’a plus accès à celui-ci qu’à travers des objets dont elle ne peut non plus dire, mais en outre – et plus grave – dont elle se moque bien de savoir s’il s’agit d’objets réels ou seulement d’images d’objets, d’objets existants ou d’objets spectraux [126].

C’est en ce sens qu’il faut comprendre que la compétence est « pure » capacité : elle est pure de toute relation durable aux objets ; elle est pure de toute limitation, injonction, appel (venu des choses), etc. [127] (Pour cette raison également, un tel monde peut fonctionner selon une loi qui fait de la destruction ou consommation des objets – et non de leur production, et non de leur conservation ou de leur usage – la source de la richesse [128].)

Nota bene n° 2. Le sujet scindé de la compétence. Le désir. Ce qui s’échange.

La compétence accomplit une scission. Il y a l’élève disposant de capacités abstraites ; et il y a l’élève avec ses intérêts propres (par exemple son intérêt pour tel et tel objet). (Or ces objets ne peuvent figurer nulle part dans la grille de compétences définissant les objectifs des apprentissages. Et pour cause : une telle grille ne contient que des capacités abstraites ; elle est in-intentionnelle ; elle est sans objets.) Il faut, dans une telle logique, que tout ce qui a lieu à l’école se fasse en abstrayant systématiquement les intérêts de l’élève (même si l’enseignement peut s’appuyer épisodiquement sur eux : pour obtenir ponctuellement l’implémentation de telle ou telle compétence). Cette scission reproduit celle que Marx repère du côté du travailleur, dans le monde de la production capitaliste. « Il [le travailleur] va au devant de ce procès en tant que simple possesseur d’une capacité abstraite de travail, ce qui suppose que soit déjà accomplie la séparation entre, d’une part, le travailleur comme individu vivant et, d’autre part, cette force ou capacité qu’il possède, qu’il a, mais qu’il n’est pas et qui n’est pas lui. […] Cela suppose donc qu’une scission intime se soit déjà produite dans le travailleur lui-même, qu’il ait été en lui-même intérieurement séparé de lui-même [129] ». La compétence est précisément le concept permettant de réaliser cette séparation, cette scission intime. « Et ce n’est donc pas en tant que travailleur, en tant qu’individu vivant et travaillant qu’il entre dans le procès, mais en tant que possesseur du travail, en tant que propriétaire d’une simple capacité à travailler [130]. »

L’élève est alors scindé lui aussi. On s’adresse à sa pure activité ; on ignore sa passivité (c’est-à-dire en réalité son désir) : « le processus […] tient à ce que le travailleur est d’abord désobjectivé : réduit à la pure activité, il a l’objectivité et la dimension de la passivité en dehors de lui-même, de sorte que cette passivité fait ensuite retour contre lui-même, s’impose à lui comme la puissance qu’exerce en lui-même une objectivité qui n’est plus la sienne et dont il est séparé [131]. » Avec la « passivité » dont le sujet se trouve ainsi privé, c’est le désir (comme intentionnalité, comme rapport intentionnel à un objet hors de soi, qui n’est pas soi) (mais aussi comme passivité première, inconsciente, par où tel enfant s’attache passionnément à l’insecte, tel autre à la mer, tel autre à l’engrenage ou à la force des moteurs, etc.) qui lui est en même temps ravi. Et cela, alors que la pédagogie de la compétence ne cesse de se prétendre une pédagogie « personnalisée », « individualisée », épousant au plus près et différentiellement le parcours de l’élève. Or ce parcours, dit très souvent « personnalisé », est un parcours qui, en réalité, prend en compte les besoins socialement nécessaires de l’élève – non pas du tout ses désirs : et ces besoins socialement nécessaires (déterminés par la « vraie vie », par la nécessité de l’intégration dans le social) sont les mêmes pour tous ; ce sont ces compétences généralistes bien connues figurant dans les référentiels (communication, adaptabilité, aptitude au travail d’équipe, initiative, résilience, etc. [132]). Ces parcours prétendus personnalisés sont donc absolument standardisés : et ils peuvent l’être précisément parce qu’ils sont construits sur les besoins socialement nécessaires, et parce qu’ils ignorent – dans la manière même dont ils sont constitués : en évacuant les objets – la bigarrure des désirs individuels. Enfin, ce parcours est un parcours qui est pure succession d’activités abstraites (sans objets capables d’importer ; et sans moments de passivité) : un tel parcours finit par modeler les désirs et les volontés de l’individu ; et au lieu d’objets il finit par faire désirer des capacités abstraites. L’individu se met à désirer des compétences – ses compétences. (De tels parcours laissent de côté des attachements possibles à tels ou tels objets du monde… sources de la diversité des existences en ce monde.) On ne s’attache plus qu’à l’activité.

*

Que fait l’école en montrant à l’élève, dès le plus jeune âge (de fait, dès l’école maternelle), ses capacités abstraitement étalées dans une grille de compétences ? Elle lui montre que ce qu’il possède de plus précieux (pour l’avenir) (pour le marché qui l’attend) (pour sa vie) ce ne sont pas tels ou tels objets avec lesquels son travail, sa vie quotidienne dans l’espace de l’école, l’ont familiarisé : mais de pures capacités. Car celles-ci seront encore en lui quand il aura quitté ces objets, quitté cette école (laquelle n’aura été qu’un lieu où « se munir » – pour plus tard) (lesquels n’auront été que matériaux pour exercer ses pures capacités). La logique de la compétence est le moyen de faire en sorte que l’élève « soit d’emblée orient[é] vers l’échange [133] », c’est-à-dire au moins : que d’emblée il s’habitue à penser à ce qui pourra, de son apprentissage, plus tard, ailleurs, être utilisé : c’est-à-dire échangé. Or dans cet échange (qu’on fait très tôt pressentir), les objets de l’enfant ne lui serviront de rien ; mais sa capacité, mais ses compétences. Il faut qu’il « intègre dès le départ l’échange marchand comme son aboutissement nécessaire et naturel [134] ». De même que « dès la production, [les producteurs] intègrent l’idée qu’ils n’auront jamais de rapports en tant que producteurs, mais seulement en tant qu’échangistes [135] », de même, dès la formation (à l’école), l’élève intègre l’idée qu’il n’entretiendra pas de lien durable ni réel avec les objets qu’il rencontre ; et que la seule durabilité sur laquelle il peut compter en sa vie (en ce monde), est en lui sa capacité abstraite de travail (ou compétence) – cette capacité ayant la vertu, elle, d’être échangeable.

Nota bene n° 3. Le travail devenu toujours insuffisant. (Le travailleur condamné au travail infini.) Perte d’objet et dépression.

Lorsque Marx écrit que « l’activité de l’ouvrier est réduite à une pure abstraction [136] », cela signifie que « dans le produit de cette activité, disparaissent toute trace de valeur d’usage, tout rapport d’utilité, toute correspondance à un besoin [137] ». Or cela implique, si le travailleur travaille sans besoin, qu’il n’aura jamais assez travaillé. « À partir de quel moment peut-il se dire qu’il a suffisamment travaillé, que son travail du jour suffit à la satisfaction de ses besoins ? Il ne dispose plus d’aucun critère lui permettant de répondre à cette question [138]. » Nous n’avons plus l’expérience d’un nombre fini de besoins, n’avons plus « l’expérience du suffisant [139] ». C’est la perte la plus radicale.

L’aliénation […] possède incontestablement des traits communs avec la mélancolie décrite par Freud : l’aliénation consiste bien […] en une perte d’objet qui s’accompagne d’une subjectivité appauvrie et vide, d’une subjectivité du dénuement, ou, comme le dit encore Freud, la perte d’objet a pour effet de « vider le moi jusqu’à l’appauvrissement total » [140].


[1] Signalons que Nico Hirtt, depuis Bruxelles, éleva des critiques déjà nettement formulées contre l’entrée de la notion de compétence dans les écoles, au début des années 2000 (voir la série d’articles publiée en mai et juin 2001 sur le site de l’APED) ; et Angélique Del Rey publia en 2010 À l’école des compétences. De l’éducation à la fabrique de l’élève compétent (La Découverte, rééd. 2024). Dès 1993, depuis Bruxelles également, Marcelle Stroobants examinait de façon critique l’intrusion du concept dans le champ de la sociologie du travail : dans Savoir-faire et compétences au travail. Une sociologie de la fabrication des aptitudes, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1993.

[2] Jean-Paul Bronckart, « La notion de compétence est-elle pertinente dans l’éducation ? », Novedades educativas, juillet 2008, cité par Angélique Del Rey, À l’école des compétences, La Découverte, 2010, rééd. 2013, p. 86.

[3] Michel Develay, Les Compétences de vie en classe, Louvain-la-Neuve, De Boeck supérieur, 2023, p. 24.

[4] Sylvie Monchatre, « L’ “Approche par compétence”, technologie de rationalisation pédagogique. Le cas de la formation professionnelle au Québec », février 2008, in Net.Doc, n° 36, p. 39.

[5] Bernard Rey, La Notion de compétence en éducation et formation, Louvain-la-Neuve, De Boeck Éducation, 2014, p. 61. « Nombreuses sont, en effet, les recherches qui attestent de ce que l’esprit des élèves est meublé de connaissances inertes (Brown, Collins & Duguid, 1989 ; Closset, 1983 ; Covington et al., 1974 ; Crahay & Detheux-Jehin, 2005 ; Glaser, 1984 & 1986 ; Jonnaert, 1988 ; Papert, 1981 ; Resnick & Klopfer, 1989 ; Schoenfeld, 1985 ; Vergnaud, 1983 ; Viennot, 1979 ; Whimbey & Lockhead, 1980). » (Marcel Crahay, « Dangers, incertitudes et incomplétude de la logique de la compétence en éducation », Revue française de pédagogie, n° 154, 2006, p. 100)

[6] Cf. Thèse n° 8, note 20 (lundimatin n° 412, 28 janvier 2024). / Nous ne questionnons pas ici la naïveté du schéma techniciste se fondant sur la croyance en une succession « chronologique » entre les savoirs, les savoir-faire puis la bonne mobilisation de ceux-ci pour l’effectuation d’un comportement. (Comme si certains savoirs n’avaient pas la possibilité de transformer – de l’intérieur, et non par « mobilisation » – un comportement ancien, ou d’en faire advenir d’absolument inédits, aussitôt.)

[7] Comme si une date, un poème, un théorème, une image, une loi, dans la vie comme dans l’enseignement, ne pouvaient entrer – bien enfoncés (bien enseignés) – dans la mémoire comme dans la chair…

[8] « L’approche par compétences redonne à l’apprentissage sa dimension de transformation en profondeur du sujet. » (Bernard Rey, Vincent Carette, Anne Defrance et Sabine Kahn, Les Compétences à l’école. Apprentissage et évaluation, avec une préface de Philippe Meirieu, Bruxelles, De Boeck, 2006, p. 22) Bernard Rey fait à très juste titre le lien entre cette volonté d’agir au plus profond sur les sujets et les technologies de suivi curriculaire. « Or si l’on admet cette conception, on doit admettre du même coup que le processus d’apprentissage prenne du temps. Une modification globale de l’organisation mentale du sujet ne saurait s’opérer en quelques heures, ni même en quelques semaines. Elle s’étale nécessairement dans la durée. C’est peut-être la raison profonde pour laquelle l’introduction de la notion de compétence dans le curriculum scolaire s’est faite, dans de nombreux pays, conjointement à une organisation de la scolarité en cycle pluri-annuels. Un cycle de deux ou trois ans permet d’engager une transformation cognitive des élèves en profondeur, beaucoup plus que ne pouvait le faire la division en années. C’est d’ailleurs à l’occasion de la mise en place des cycles que sont apparues, en France (1991), les listes de compétences pour l’école primaire. » (ibid., p. 22-23)

[9] Cf. Thèse n° 5 (lundimatin, n° 403, 13 novembre 2023).

[10] Bernard Rey (et al.), Les Compétences à l’école, op. cit., p. 17.

[11] Sylvie Monchatre, dans une étude sociologique importante accomplie sur l’exemple du Québec, fait l’histoire de ce dépassement de la pédagogie par objectifs à la fin des années 1960. Voir : 1° Sylvie Monchatre, « En quoi la compétence devient-elle une technologie sociale ? Réflexions à partir de l’expérience québécoise », in Formation Emploi. Revue française de sciences sociales, n° 99, juillet-septembre 2007, p. 29-45 [noté « article de 2007 » dans ce qui suit] ; et : 2° Sylvie Monchatre, « L’ “Approche par compétence”, technologie de rationalisation pédagogique. Le cas de la formation professionnelle au Québec », février 2008, in Net.Doc, n° 36 [noté « article de 2008 » dans ce qui suit].

[12] « La formulation détaillée des objectifs a provoqué un mouvement inflationniste, certains auteurs allant jusqu’à formuler 1581 objectifs pour un programme d’anglais, 3000 pour l’arithmétique, etc. Rien d’étonnant, estime Eisner, si ce mouvement s’est effondré sous son propre poids […]. » (Monchatre, article de 2008, p. 11 ; Sylvie Monchatre s’appuie ici sur l’histoire de ces développements pédagogiques telle que donnée par Eisner dans : E. W. Eisner, Educational Objectives : Help or Hindrance ?, in The School Review, vol. 75, n° 3, 1967, p. 250-260.)

[13] Monchatre, article de 2008, p. 4.

[14] Monchatre, article de 2007, p. 40.

[15] Sylvie Monchatre parle d’une « critique artiste de la technologie des objectifs », en faisant référence à la terminologie de Boltanski et Chiapello : la critique artiste est faite au nom d’un surcroît de liberté ou d’autonomie (cf. Monchatre, article de 2008, p. 12).

[16] Monchatre, article de 2008, p. 3. / Eisner est l’un des auteurs qui, à la fin des années 1960, accomplissent cette critique – et c’est cette critique qui sera institutionnellement réalisée au Québec lors de la mise en place des compétences à partir des années 1980 : « Les objectifs de situation doivent donc décrire la “situation éducative dans laquelle l’étudiant doit travailler”, “sans spécifier ce qui doit être appris” (Ministère de l’Éducation du Québec, 1983, p. 30). » (Monchatre, article de 2007, p. 38. Monchatre renvoie ici à : E. W. Eisner, « Instructional and expressive educational objectives », in J. Popham, Instructional Objective, Chicago, AERA, 1969.) Un auteur aussi influent que Bloom travaillera lui aussi dans le sens d’une « définition élargie des objectifs » (Monchatre, article de 2007, p. 34). Et, si le Holland College de l’Île du Prince Édouard « f[it] figure de “référence incontournable” », c’est précisément parce qu’ « il é[tait] parvenu à implanter une approche par compétence “en évitant les pièges d’une orientation trop pointue et utilitaire” (Tremblay, 1990-c, p. 8) » (Monchatre, article de 2007, p. 34).

[17] Voir par exemple : Bernard Rey, La Notion de compétence en éducation et formation, op. cit., p. 29 sq. « Il y a donc une distinction essentielle à établir entre ces procédures, impliquant des actions standardisées, et les compétences au sens fort […]. » (p. 29) Bernard Rey critique ici l’approche par objectifs, précisément dans ses velléités de repérer et lister « les procédures automatisables » qu’il s’agirait ensuite de « faire acquérir » aux élèves « une par une » (ibid.). Voir aussi : Philippe Perrenoud, Construire des compétences dès l’école, coll. « Pratiques et enjeux pédagogiques », ESF éditeur, 1997, p. 23. L’approche par compétences se positionne contre les « excès maintenant connus » de la pédagogie antérieure (par rapport à laquelle elle se constitue en instance libératrice) : « behaviorisme sommaire, taxonomies interminables, fractionnement excessif des objectifs, organisation de l’enseignement objectif par objectif, etc. » (ibid.)

[18] Cette montée en généralité est aussi ce qui permet à la compétence de dépasser les carcans et limitations : celles des métiers, comme aussi des disciplines (voir respectivement thèse n° 13 et n° 16). Au point que, contrairement à ce que l’on peut lire parfois au sujet de la professionnalisation, même la référence à des compétences attachées à des métiers spécifiques peut se faire plus ténue : « L’idée d’adaptation aux fonctions de travail a disparu. […] L’approche par compétence ne saurait donc, dans son schéma de conception, correspondre à une forme moderne de compagnonnage-entraînement, visant l’adaptation à une fonction de travail donnée. » (Monchatre, article de 2007, p. 39) / Remarquons que dans sa généalogie du concept, Andreas Gelhard insiste lui aussi sur ce « degré de généralité » (Allgemeinheitsgrad) conquis progressivement par la compétence (Gelhard, Kritik der Kompetenz, Zurich, Diaphanes, 2011/2018 [3e éd.], p. 101).

[19] Monchatre, article de 2007, p. 39.

[20] « Skinner reprochait aux méthodes pédagogiques traditionnelles, basées sur la sanction des erreurs, de conduire l’élève à apprendre “pour échapper à la punition” (ministère de l’Éducation du Québec, 1983, p. 19). Il importait au contraire, selon lui, de développer une “méthode de renforcements positifs qui inciterait l’élève à apprendre pour sa satisfaction personnelle” (ibid.) » (Monchatre, article de 2007, p. 32) ; « [les objectifs] [chez Eisner, en particulier] ne prescrivent pas le résultat attendu mais ils mettent l’accent sur un processus d’apprentissage qu’il appartient à l’enseignant de susciter. C’est ainsi la participation de l’élève aux activités proposées qui le sensibilisera à la gestion de sa propre sécurité, à l’acquisition d’autonomie dans la recherche documentaire face à un nouvel appareil, ou encore à la manière de remplacer des pièces défectueuses à moindre coût » (ibid., p. 38). / Le génie néolibéral, comme on sait, ne consiste pas à dresser l’individu jusque dans le moindre de ses gestes ; mais à le conduire à adopter de lui-même, dans son propre intérêt bien compris, le comportement qu’on se propose de lui faire adopter.

[21] Remarquons que cela conduit à donner également plus d’autonomie à l’enseignant : l’approche par compétences, comme le souligne ailleurs Sylvie Monchatre, est moins prescriptive, sur le plan pédagogique, que l’approche par objectifs. (Sur le « recul de la prescription », voir l’article de 2008, page 4.)

[22] Monchatre, article de 2008, p. 3.

[23] Ibid., p. 13.

[24] On observe un tel mouvement de dépassement chez un auteur comme Benjamin S. Bloom, qui développe la pédagogie de la maîtrise (Mastery learning) précisément dans le but de se porter au-delà du behaviorisme traditionnel – et, de cette manière, en réalité le renforce. Avec Bloom en effet, « la définition des objectifs va commencer à se complexifier, en intégrant des éléments moins immédiatement observables mais participant aux apprentissages » (Monchatre, article de 2007, p. 32). C’est le cas également d’un auteur comme le psychologue R. M. Gagné qui distingue entre « performances » et « capacités » : ces dernières – invisibles pour le simple behavioriste – sont révélées par les premières. « Capacités et performances deviennent des indicateurs l’un de l’autre : les capacités sont le produit d’apprentissages et la performance permet d’évaluer si l’élève a atteint ses capacités. Cet auteur entrouvre alors, à l’instar de Bloom, la possibilité d’explorer la “boîte noire” que l’orthodoxie behavioriste interdit d’investiguer. » (Monchatre, article de 2007, p. 33)

[25] Monchatre, article de 2007, p. 38. Sylvie Monchatre s’appuie ici sur : Louis D’Hainaut, Des fins aux objectifs, Paris, Bruxelles, Nathan, Labor, 3e édition, 1983. (D’Hainaut fut titulaire à Mons d’une chaire de technologie de l’éducation.)

[26] Voir en France la constitution en 2018 d’un Conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN), où les sciences cognitives et neuronales occupent une place prépondérante.

[27] Monchatre, article de 2007, p. 37.

[28] Sur ces questions, voir les analyses faites dans la Thèse n° 11 (lundimatin n° 412, 28 janvier 2024).

[29] Sylvie Monchatre parle, au sujet de la compétence, d’une « technologie sociale » (article de 2007, p. 30), d’une « technologie de rationalisation pédagogique » (article de 2008, titre) : « … une technologie bien réelle, celle des individus » (Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, NRF, 1975, p. 226). Et les pédagogues se font « en quelque sorte […] techniciens du comportement », « ingénieurs de la conduite, orthopédistes de l’individualité » (ibid., p. 301) ; « … de là le fait qu’on s’obstine à […] faire passer [les disziplin-disciplines] pour la forme humble mais concrète de toute morale, alors qu’elles sont un faisceau de techniques physico-politiques. » (ibid., p. 225)

[30] Cité par Sylvie Monchatre, in : article de 2008, p. 39.

[31] Apprendre, dès lors, n’est plus une activité transitive, rapportée à un objet ; mais un travail sur le sujet, un travail d’éducation de soi. (Voir conclusion de la Thèse n° 16 : « Perte de l’objet et fixation sur le sujet », lundimatin n° 465, 4 mars 2025.)

[32] « La formation des compétences exige une petite “révolution culturelle”, pour passer d’une logique d’enseignement à une logique de l’entraînement (coaching) sur la base d’un postulat assez simple : les compétences se construisent en s’exerçant face à des situations d’emblée complexes. » (Philippe Perrenoud, Construire des compétences dès l’école, op. cit., p. 71)

[33] Monchatre, article de 2007, p. 32. Sylvie Monchatre évoque dans ce passage B. F. Skinner, l’un des « chefs de fil du behaviorisme » : « Sa théorie de l’apprentissage fait appel à une psychologie qui considère que l’enseignement doit avant tout créer des situations provoquant les stimuli susceptibles de faire évoluer les comportements. » (Monchatre, ibid.)

[34] Le terme de « rôle » se trouve dans la définition de la compétence donnée par D’Hainaut ; celui d’« attitude » dans celle donnée par Jean Dussault (Québec), etc. (cf. Monchatre, article de 2008, p. 14).

[35] Monchatre, article de 2008, p. 14. Sylvie Monchatre cite ici une publication du Ministère de l’Éducation du Québec (1983, p. 30). / Les définitions de la compétence, aussi diverses soient-elles, intègrent presque toutes désormais cette dimension décisive de la « situation ». La compétence fait référence à « un ensemble de ressources que le sujet peut mobiliser pour traiter une situation avec succès » (P. Jonnaert, Compétences et socioconstructivisme. Un cadre théorique, Bruxelles, De Boeck, Perspectives en éducation et formation, 2002, p. 31, n. s.) / Les compétences sont des « [r]essources mobilisables pour agir efficacement dans un type défini de situations » (Philippe Perrenoud, Construire des compétences dès l’école, op. cit., n. s.). (Définitions citées in Monchatre, article de 2008, p. 39.)

[36] « … dans lesquelles plonger les étudiants » ; « … dans lesquels il faudra immerger les étudiants » (Marianne Poumay et François Georges, Comment mettre en œuvre une approche par compétences dans le supérieur ?, préface de Jacques Tardif, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2022, p. 24 et p. 32).

[37] « La situation conditionne la façon dont la personne met en œuvre la compétence » (ibid., p. 23).

[38] Ibid., p. 32. Il s’agit de « garanti[r] » aux étudiants, écrivent plus loin Poumay et Georges, « un maximum d’adaptabilité » (p. 33).

[39] « Parcours Avenir » [Référentiel Collège-Lycée] (NOR : MENE1514295A), arrêté du 1er juillet 2015, Journal Officiel du 7 juillet 2015, n. s. / « Die neuen Seelenleiter heißen „Lernplaner“ und „Lernbegleiter“. Sie schaffen die Bedingungen für selbstorganisiertes Lernen, indem sie die entsprechenden Umgebungen entwickeln. » (Andreas Gelhard, « Notiz zur Kompetenzgesellschaft », in Texte zur Kunst, n° 110, juin 2018 [« Performance Evaluation »], p. 115)

[40] « Une SAÉ [= Situation d’Apprentissage et d’Évaluation] doit répondre à une série de critères. Elle doit en tout cas être authentique […]. » (op. cit., p. 55)

[41] « Authenticité » est identifié à « réalité » ; « réalité » est identifié au monde professionnel existant. Pour caractériser l’« authenticité » d’une situation ou d’une tâche, Poumay et Georges écrivent : « La tâche s’inspire bien d’une situation réelle. Elle confie aux étudiants une mission simplifiée (par exemple parce qu’ils la mènent en groupe, ou que certaines contraintes sont levées), une action professionnelle réelle (c’est-à-dire que l’on pourrait confier à un professionnel), ou peut-être même une action en situation réelle (ex. stage). » (Poumay-Georges, Comment mettre en œuvre une approche par compétences dans le supérieur ?, op. cit., p. 55) Et, comme toujours chez les pédagogues, c’est cette immersion ou plongée dans la « vie authentique » ou « réelle » qui doit permettre de redonner du sens aux apprentissages. « Elle [la situation] fera donc sens pour les étudiants (ex. “je vois bien l’intérêt de le faire !”). » (ibid.)

[42] Nous avons fait cette étude détaillée dans : De la faiblesse de l’esprit critique envisagé comme « compétence », Rennes, Pontcerq, 2022. / On peut prendre pour autre exemple la compétence « apprendre à s’orienter » : la situation archétypale est aussitôt là aussi (dès le plus jeune âge, dès les plus bas niveaux scolaires) celle de la « vraie vie » : dans le schéma d’un parcours d’orientation, l’élève est invité à comprendre qu’il lui faut effectuer ses apprentissages dans son intérêt propre et bien compris (dans un but d’accumulation et de valorisation de ses compétences) : la situation étant celle – bien réelle – de la concurrence où il sera jeté dans l’enseignement supérieur (avec sélection par « parcoursup ») puis sur le marché de l’emploi capitaliste. Les conditions de cette mise à disposition de l’individu pour le marché – à partir du moment où l’on fait d’elles une « situation » d’apprentissage – ne peuvent être interrogées. L’attitude à adopter à l’égard de la situation, celle-ci étant déclarée « réelle », « authentique », est dépolitisée et ramenée à la nécessaire adaptation (psychologique) (cognitive, émotionnelle) d’un individu dans un milieu. (Voir à ce sujet la Thèse n° 18, dite Thèse de Leipzig : in lundimatin n° 467, 21 mars 2025.)

[43] « Cette conception du curriculum […] propose d’analyser les fins que doit servir un curriculum à partir d’une représentation finale de la personne bien formée qui prend appui sur des valeurs, elles-mêmes basées sur une représentation du milieu dans lequel la personne formée est appelée à s’insérer. Plus exactement, la formation vise moins à faire acquérir les comportements adéquats que “les capacités de conception et d’action que devront acquérir les personnes formées pour pouvoir traiter de manière adéquate les situations qu’elles rencontreront dans leur vie sociale, dans leurs études, dans leur profession”. » (Monchatre, article de 2008, p. 13, n. s. ; la citation est tirée de : Louis D’Hainaut, « Comment définir un curriculum centré sur la formation fondamentale », Pédagogie collégiale, vol. 3, n° 3, 1990, p. 33-43.)

[44] Monchatre, article de 2008, p. 13.

[45] Christoph Türcke, Lehrerdämmerung. Was die neue Lernkultur in den Schulen anrichtet, Munich, C. H. Beck, 2016, p. 25, n. t.

[46] Monchatre, article de 2008, p. 10.

[47] « Programme du Cycle 2 [soit : CP, CE1-CE2] en vigueur à la rentrée 2020 », document « eduscol » [d’après le BOEN n° 31 du 30 juillet 2020], p. 7-8.

[48] « Annexe – Programme d’enseignement moral et civique de l’école et du collège (cycles 2, 3 et 4) », publié au Bulletin officiel n° 30 du 26 juillet 2018 ; document pdf, p. 3.

[49] « Le livret personnel de compétences. Repères pour sa mise en œuvre au collège » [50 pages], Direction générale de l’enseignement scolaire, Ministère de l’éducation nationale, mai 2010, p. 40.

[50] Plateforme « eduscol », « Histoire-géographie. Travailler les compétences et évaluer la maîtrise du socle. Coopérer et mutualiser. [Cycle 4] » (Ministère de l’Éducation nationale – Mai 2017).

[51] « Programme du Cycle 4 [soit 5e, 4e, 3e] en vigueur à la rentrée 2020 », document « eduscol » [d’après le BOEN n° 31 du 30 juillet 2020], p. 107.

[52] « Programme du Cycle 4 [soit 5e, 4e, 3e] en vigueur à la rentrée 2020 », document « eduscol » [d’après le BOEN n° 31 du 30 juillet 2020], p. 107. / « Cette éducation à la santé vise l’acquisition de premiers savoirs et savoir-faire relatifs à une hygiène de vie saine. » (« Programme du Cycle 1 [soit l’École maternelle] en vigueur à la rentrée 2020 », document « eduscol » [d’après le BOEN n° 31 du 30 juillet 2020], p. 26.

[53] « Annexe – Programme d’enseignement moral et civique de l’école et du collège (cycles 2, 3 et 4) », art. cit., p. 3.

[54] « Les compétences sociales et civiques » §6, in Décret n° 2006-830 du 11 juillet 2006 relatif au socle commun de connaissances et de compétences et modifiant le code de l’éducation [NOR : MENE0601554D], Journal officiel du 12 juillet 2006, Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, p. 11.

[55] « Annexe – Programme d’enseignement moral et civique de l’école et du collège (cycles 2, 3 et 4) », art. cit., p. 18.

[56] « Annexe – Programme d’enseignement moral et civique de l’école et du collège (cycles 2, 3 et 4) », art. cit., p. 14.

[57] « Programme du Cycle 4 [soit 5e, 4e, 3e] en vigueur à la rentrée 2020 », document « eduscol » [d’après le BOEN n° 31 du 30 juillet 2020], p. 107.

[58] « Annexe – Programme d’enseignement moral et civique de l’école et du collège (cycles 2, 3 et 4) », art. cit., p. 1.

[59] « Annexe – Programme d’enseignement moral et civique de l’école et du collège (cycles 2, 3 et 4) », art. cit., p. 3.

[60] « Programme du Cycle 4 [soit 5e, 4e, 3e] en vigueur à la rentrée 2020 », document « eduscol » [d’après le BOEN n° 31 du 30 juillet 2020], p. 107, p. 114.

[61] « Les compétences sociales et civiques » §6, in Décret n° 2006-830 du 11 juillet 2006 relatif au socle commun de connaissances et de compétences et modifiant le code de l’éducation [NOR : MENE0601554D], Journal officiel du 12 juillet 2006, Ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, p. 10.

[62] « Les compétences sociales et civiques » §6, in Décret n° 2006-830 du 11 juillet 2006 relatif au socle commun de connaissances et de compétences et modifiant le code de l’éducation [NOR : MENE0601554D], Journal officiel du 12 juillet 2006, Ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, p. 11.

[63] « Programme du Cycle 2 [soit : CP, CE1-CE2] en vigueur à la rentrée 2020 », document « eduscol » [d’après le BOEN n° 31 du 30 juillet 2020], p. 7.

[64] La compétence est conçue comme un dispositif disciplinaire de « recodage de l’existence » (cf. Surveiller et punir, op. cit., p. 239).

[65] Canopé [plateforme], « Évaluer les apprentissages : pourquoi ? », page publiée le 23 novembre 2023. / (https://www.reseau-canope.fr/actualites/actualite/evaluer-les-apprentissages-pourquoi.html, prélevé le 14 avril 2025). (Rappel : Canopé est l’opérateur officiel d’aide à la pédagogie, externalisé, en contrat avec le Ministère de l’Éducation nationale.)

[66] Ibid.

[67] Catherine Hurtig-Delattre [chargée d’études à l’Institut français de l’éducation], « La coéducation, une responsabilité à partager entre l’école et les familles », [transcription], in Site de Canopé [canotech.fr] : https://www.canotech.fr/a/33115/la-coeducation-une-responsabilite-a-partager-entre-lecole-et-les-familles (consulté le 16 janvier 2023).

[68] Cf. « Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation » [NOR : MENE1315928A], arrêté du 1er juillet 2013 publié au Journal Officiel du 18 juillet 2013 (MEN – DGESCO A3-3). Extraits : « Coopérer au sein d’une équipe » / « Installer avec les élèves une relation de confiance et de bienveillance. » / « Œuvrer à la construction d’une relation de confiance avec les parents. » / « Contribuer à assurer le bien-être, la sécurité et la sûreté des élèves […]. » / « Coopérer avec les partenaires de l’école » / « Inscrire son action dans le cadre des principes fondamentaux du système éducatif et dans le cadre réglementaire de l’école » / « Agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques » / « Accorder à tous les élèves l’attention et l’accompagnement appropriés. » / « Éviter toute forme de dévalorisation à l’égard des élèves, des parents, des pairs et de tout membre de la communauté éducative. » / « Recourir à des stratégies adéquates pour prévenir l’émergence de comportements inappropriés et pour intervenir efficacement s’ils se manifestent. » / « S’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel », etc. / (D’où la nécessité d’« un personnel spécialisé possédant les capacités morales et techniques de veiller à la bonne formation des individus » (Surveiller et punir, op. cit., p. 275).)

[69] Lettre hebdomadaire de la plateforme « Canopé » du 15 février 2024, à l’adresse des enseignantes et enseignants abonnés.

[70] Catherine Hurtig-Delattre, « La coéducation, une responsabilité à partager entre l’école et les familles », art. cit.

[71] Lettre hebdomadaire de la plateforme « Canopé », 7 décembre 2023.

[72] Jean Duvillard, « La posture d’autorité », in Site de Canopé [canotech.fr], https://www.canotech.fr/a/32131/la-posture-dautorite (prélevé en novembre 2023). / Sur l’hypothèse, cependant, que Jean Duvillard serait un agent infiltré, voir : https://www.pontcerq.fr/femmes-et-hommes-et-vice-versa-nature-et-culture-et-cetera-dura-tamen-saxa-lettre-dinformation-pontcerq-8-novembre-2023/

[73] Dominique Bucheton relève six items dans la posture d’un professeur : « posture d’enseignement », « posture d’accompagnement », « posture de contre-étayage », « posture de contrôle », « posture de lâcher-prise », « posture du magicien » (Canopé [plateforme], « Quelles sont les postures enseignantes ? » [vidéo], https://www.canotech.fr/a/37777/quelles-sont-les-postures-enseignantes, prélevé le 14 avril 2025). / Voir aussi l’ouvrage de Philippe Perrenoud (déjà spécialiste très reconnu en compétences des élèves) : Dix nouvelles compétences pour enseigner. Invitation au voyage, coll. « Pédagogie » [dirigée par Ph. Merieu], ESF éditeur, 1999. Les dix grandes compétences relevées par Perrenoud sont : 1° organiser et animer des situations d’apprentissage ; 2° gérer la progression des apprentissages : 3° concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation ; 4° impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail ; 5° travailler en équipe ; 6° participer à la gestion de l’école ; 7° informer et impliquer les parents ; 8° se servir des technologies nouvelles ; 9° affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession ; 10° gérer sa propre formation continue. » (op. cit., p. 16)

[74] « … se doter ainsi d’une véritable culture d’évaluation » (Claire Dauvillier, pédagogue : « La refondation de l’évaluation à l’école maternelle. Pour une évolution des pratiques professionnelles », Mémoire de Master MEEF, sous la direction de Clara Etner (Inspe, Académie de Paris), 2016-2017).

[75] Ainsi, pour les compétences de « bien-être » : « Quels gestes professionnels, quelles stratégies et quels leviers actionner pour favoriser le bien-être des élèves ? » La question est suivie tout aussitôt de cette autre : « Comment agir pour maintenir votre bien-être professionnel au quotidien ? » (Lettre hebdomadaire de Canopé, 13 juin 2024)

[76] Avec la « coéducation », les comportements parentaux (ou compétences parentales) seront désormais également pris en compte : « … les professionnels sont des experts dans leur métier et les parents sont des experts dans leur famille, […] ces deux expertises ne sont pas à égalité […] mais on est dans la reconnaissance réciproque de l’idée d’une compétence, de part et d’autre. » (Catherine Hurtig-Delattre, « La coéducation, une responsabilité à partager entre l’école et les familles », art. cit.)

[77] Dominique Raulin, « Les évaluations individuelles du domaine scientifique au collège : investigation et caractérisation des écarts entre les intentions évaluatives de professeurs et la conscience évaluative de leurs élèves », n. s. (https://www.theses.fr/2017USPCB204  ; résumé de la thèse de doctorat de Dominique Raulin).

[78] Dominique Bucheton, « Relation entre postures des enseignants et postures des élèves » [vidéo, série « Parole d’experts »] [sans date de publication], in Site de Canopé [Canothèque], texte de présentation de la vidéo, n. s. : https://www.canotech.fr/a/37422/relation-entre-postures-des-enseignants-et-postures-des-eleves, prélevé le 14 avril 2025). / « Ainsi apparaît une exigence nouvelle à laquelle la discipline doit répondre : construire une machine dont l’effet sera maximalisé par l’articulation concertée des pièces élémentaires dont elle est composée. La discipline n’est plus simplement un art de répartir des corps, d’en extraire et d’en cumuler du temps, mais de composer des forces pour obtenir un appareil efficace. » (Surveiller et punir, op. cit., p. 166) / « L’élément essentiel […] était de soumettre les cadres futurs aux mêmes apprentissages et aux mêmes coercitions que les ####### eux-mêmes : ils étaient “soumis comme élèves à la discipline qu’ils devaient comme professeurs imposer plus tard”. […] Première école normale de la discipline pure […]. » (ibid., p. 302)

[79] « Des clés pour une coéducation fructueuse », publié le 14 décembre 2023, sur le site reseau-canope.fr.

[80] « Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation », art. cit. / La meilleure résistance à ce « devenir-enseignant » standardisé n’est-il pas précisément dès lors dans un « devenir-professeur-demathématique », un « devenir-professeur-d’histoire », un « devenir-professeur-demusique », etc. ? (C’est par son objet qu’on échappe à l’injonction totale et disziplin-disciplinaire.) (C’est d’être un professeur de mathématiques, qui garantit au professeur de mathématiques de n’être pas la figure simplement disziplin-disciplinaire du professeur-sans-objet.) (Sur le « sans objet », voir Thèse n° 19 ci-dessous.)

[81] Catherine Hurtig-Delattre, « La coéducation, une responsabilité à partager entre l’école et les familles », art. cit.

[82] « La coéducation comme vecteur de la réussite scolaire est formulée dans le BO d’octobre 2013 “coopérer avec les parents dans les territoires”. Il s’agit donc d’une part du métier et non pas d’une posture optionnelle ou relevant du volontariat. » (Catherine Hurtig-Delattre, « Des pistes pour coéduquer », entretien avec Lilia Ben Hamouda, sur le site « Café Pédagogique », 19 juin 2023) / N. B. Une nouvelle version du « référentiel de compétences des enseignants français » est actuellement en préparation, sous la responsabilité du groupe de travail « Formation et ressources » du CSEN (cf. note 26 ci-dessus) dirigé par Franck Ramus. Le niveau de pilotage comportemental des enseignants y sera, si cette version nouvelle s’applique, considérablement accru.

[83] Catherine Pascual, in « L’évaluation en maternelle », film de l’opérateur Canopé [Transcription], https://www.canotech.fr/a/32050/levaluation-en-maternelle (avec Catherine Pascual et Muriel Blandin-Jobard, membres de l’Ageem [Association générale des enseignants des écoles et classes maternelles publiques]). Catherine Pascual s’appuie ici sur Viviane Bouysse (inspectrice générale de l’Éducation Nationale, spécialiste de la maternelle).

[84] Cet exemple et d’autres semblables sont donnés par Bernard Rey, en plusieurs endroits : La Notion de compétence en éducation et formation, op. cit., p. 52-53 ; Les Compétences à l’école. Apprentissage et évaluation, op. cit., p. 137. Nous en avons fait l’analyse dans : « Extraits de lettres sur les sciences de l’éducation, à un ami qui enseigne en province » [Appendice à De Monsieur Rey, pédagogue], Partie 1 et 2, in Flugblatt-Pontcerq n° 25 et 26, novembre 2023 et mai 2024. Voir ici : https://www.pontcerq.fr/lettres-provinciales-sur-les-sciences-de-leducation-1-et-2/.

[85] Remarquons que le mot « culture » est à prendre ici dans son sens ethnologique : il désigne un ensemble de codes arbitraires propres à un groupe social, qu’il faut assimiler si l’on veut s’y fondre ou si l’on veut au moins en interpréter correctement les gestes, les paroles, les comportements.

[86] On apprend à leur contact ce qui fait le génie propre des mathématiciens (ou enseignants de mathématiques) : un mathématicien, comme on sait, se plaît à résoudre une question {}a priori (par un calcul par exemple ; ou un raisonnement « pur ») ; il se déshonore par conséquent en sortant un double décimètre, si la distance peut se calculer ; il se déshonore en sortant une calculatrice si le calcul peut se faire sans elle par la ruse, etc. ; et il se déshonore à devoir constater la fin du pot de peinture s’il ne l’a pas très exactement prédite par calcul.

[87] Il est d’une ironie assez terrible que ce soient les pédagogues, qui défendent la pédagogie des compétences contre le carcan des disciplines, et qui n’ont de cesse de réclamer des situations de la « vraie vie », des « tâches authentiques » (faire des achats, préparer des commandes commerciales, projeter le budget d’une sortie scolaire, etc.), qui s’étonnent ensuite que les élèves échouent à reconnaître que l’école demande un déplacement du regard – par rapport à la « vraie vie ».

[88] Cf. note 101 de la Thèse n° 11 (cf. lundimatin n° 412, 28 janvier 2024).

[89] Un enseignant d’école primaire ayant à assurer seul l’enseignement des disciplines multiples (mathématiques, français, sciences naturelles, histoire, anglais, etc.) relève alors le vénérable défi de présenter cette bigarrure à même sa personne unique. (Là-contre, les pédagogues disent de l’enseignant de primaire qu’il est un enseignant sans disciplines, soit un enseignant sans-objet ; un enseignant pur – ou éducateur.)

[90] Un objet peut être aimé ; il peut aussi être haï.

[91] Cf. Thèse n° 8 (alinéa 5), in lundimatin n° 412, 28 janvier 2024.

[92] « De pédagogique, la technologie devient sociale en ce qu’elle agit non seulement sur les techniques d’enseignement mais plus largement sur l’organisation de la relation formation-emploi. » (Monchatre, article de 2007, p. 30)

[93] Foucault a toujours insisté sur l’aspect double des technologies de l’individu. « La discipline majore les forces du corps (en termes économiques d’utilité) et diminue ces mêmes forces (en termes politiques d’obéissance). D’un mot : elle dissocie le pouvoir du corps ; elle en fait d’une part une “aptitude”, une “capacité” qu’elle cherche à augmenter ; et elle inverse d’autre part l’énergie, la puissance qui pourrait en résulter, et elle en fait un rapport de sujétion stricte. » (Surveiller et Punir, op. cit., p. 160-161) / « … la discipline est le procédé technique unitaire par lequel la force du corps est aux moindres frais réduite comme force “politique”, et maximalisée comme force utile. » (p. 223)

[94] « Le travailleur comme personne juridique et comme sujet libre, c’est celui qui cède un droit momentané à l’usage de ses forces, sans pour autant céder aucun droit sur lui-même. […] En ce sens, le rapport capital/travail repose sur la non-marchandisation (et donc la non-réification) du travailleur lui-même : il suppose au contraire que le travailleur existe et soit reconnu comme un “sujet” ou une “personne” disposant librement aussi bien d’elle-même que de ce qui lui appartient, à commencer par son propre corps et les forces vitales de celui-ci. » (Franck Fischbach, Sans objet. Capitalisme, subjectivité, aliénation, Vrin, 2009, p. 171 et p. 174)

[95] Franck Fischbach, Sans objet, op. cit., p. 156. (Fischbach lit ici les manuscrits parisiens de Marx : Manuscrits de 1844.)

[96] « Marx reprend ici son idée selon laquelle le propre de la production capitaliste est, pour le travailleur, de réaliser le procès de travail sous la forme paradoxale d’un procès d’objectivation qui engendre en permanence le travailleur comme un être sans objet, comme un être dépourvu d’objectivité, et donc comme le possesseur d’une force de travail purement subjective, dépourvue d’objectivité et, en conséquence, dépossédée de toute maîtrise possible de l’objectivité. » (Fischbach, op. cit., p. 197)

[97] Fischbach, op. cit., p. 71. « … cette complète élaboration de l’intériorité humaine apparaît au contraire comme un complet évidage (als völlige Entleerung) et cette objectivation universelle comme totale aliénation (als totale Entfremdung) » (Marx, Grundrisse, trad. fr. : Manuscrits de 1857-58, Éditions sociales, 1980, t. 1, p. 425, cité par Fischbach, op. cit., p. 192).

[98] « Cette séparation entre le travail comme essence et l’existence du travailleur s’accomplit elle-même comme un procès d’abstraction. » (Fischbach, op. cit., p. 166)

[99] Fischbach, op. cit., p. 50.

[100] Fischbach, op. cit., p. 156.

[101] Fischbach, op. cit., p. 149. / « La marchandise dont le travailleur est désormais reconnu possesseur, c’est sa propre capacité à travailler ou sa propre faculté de travail » (ibid., p. 171). Le travailleur : « il n’est plus une marchandise, mais il en a une. » (ibid.) D’où ce paradoxe : c’est parce que le travailleur en régime capitaliste, par opposition au serf ou à l’esclave, est libre, et qu’il ne se vend pas lui-même mais seulement sa force de travail (ses compétences) que se produit cette séparation, cette démondanéisation : « … le travailleur ne peut contracter et échanger l’usage de ses forces de travail qu’à la condition qu’il ne soit plus identifié immédiatement à la réalité matérielle de ces mêmes forces, qu’à la condition qu’une différence soit désormais faite entre, d’une part, la réalité physique et matérielle de l’individu vivant et, d’autre part, le sujet qui dispose librement de son corps et de ses capacités physiques et mentales, qui peut donc librement choisir de concéder (d’aliéner, au sens juridique) à un autre, contre du numéraire, l’usage des capacités propres de ce corps. Ce qui s’introduit ici, c’est une différence entre l’être et le faire du travailleur, entre ce qu’il est et ce qu’il fait : l’être du travailleur n’est pas immédiatement identique à ce qu’il fait. » (ibid., p. 170-171) / Nota Bene. À aucun moment Franck Fischbach n’évoque ici ni ailleurs dans son livre le concept de compétence ; c’est nous qui tirons, dans tout ce qui suit, vers ce concept, les analyses absolument décisives, plus générales, qu’il donne.

[102] Fischbach, op. cit., p. 185.

[103] Fischbach revient ici à Marx, par-delà le concept de réification présent chez Lukács, concept qui a eu une si importante postérité chez les marxistes du XXe siècle. Cf. Sans objet, op. cit., p. 65 sq. « Alors que le concept de réification situe l’aliénation dans le procès d’objectivation et de réalisation, l’aliénation consiste au contraire dans un procès que Marx qualifie explicitement de “déréalisation” (Entwirklichung) et de “perte de l’objet” (Verlust des Gegenstandes) » (Fischbach, op. cit., p. 87).

[104] Cf. Thèse n° 2.

[105] Fischbach, op. cit., p. 62.

[106] Marx, Manuscrits de 1844, cité par Fischbach, op. cit., p. 149.

[107] Cf. Thèse n° 1 (lundimatin n° 402, 6 novembre 2023).

[108] Ce que remarque Marcelle Stroobants : « Dans les lycées professionnels, la nouvelle génération d’enseignants, titulaires d’un diplôme technique supérieur, tend à adopter la norme pédagogique qui subordonne la vocation professionnelle à l’enseignement de principes généraux et universels, de méthodes et de logique […]. Ainsi donc, la préparation d’un “producteur abstrait” n’est pas seulement assurée par la modification du rapport entre savoirs généraux et spécialisés mais par une formalisation – qui est à la fois une déspécialisation et une décontextualisation – des savoirs pratiques. » (Marcelle Stroobants, Savoir-faire et compétences au travail. Une sociologie de la fabrication des aptitudes, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1993, p. 322)

[109] Fischbach, op. cit., p. 165. [Le passage cité est tiré de Marx, Grundrisse, trad. fr. : op. cit., t. 1, p. 249.] / D’où le caractère à la fois terriblement naïf et dangereux des productions des pédagogues et des sciences de l’éducation qui promirent de livrer un concept de compétence « pédagogique » délivré de son origine « néolibérale » : ce qui est montré dans De Monsieur Rey, pédagogue, ou À quoi servent les sciences de l’éducation aujourd’hui ?, Pontcerq, 2023. / Selon Fischbach, il est possible de rapprocher ces analyses, qu’il entreprend d’abord ici dans une perspective marxienne, d’une perspective heideggerienne : Heidegger parle d’une « démondanéisation spécifique du monde ambiant » (Prolégomènes à l’histoire du concept de temps, trad. A. Boutot, Gallimard, 2006, p. 284, cité par Fischbach, op. cit., p. 56). Or : « Ce n’est pas d’être absorbé dans le monde qui est aliénant, c’est d’en être délié, détaché et prétendument “libéré”. » (Fischbach, op. cit., p. 57) « Est aliénante non pas l’immersion dans le monde, mais le fait de sauter le phénomène du monde, un saut qui nous donne justement la subjectivité moderne déliée du monde » (ibid., p. 63). « En ce sens la démondanéisation dont parle Heidegger me paraît bien être inséparable de ce qui chez Marx est pensé sous le vocable d’abstraction, par où est désigné un processus auquel les travaux humains ont été historiquement soumis du fait de leur soumission réelle au capital et de leur inscription à l’intérieur du procès de valorisation du capital. » (Fischbach, La Privation du monde. Temps, espace et capital, Vrin, 2011, p. 62)

[110] Fischbach, Sans objet, op. cit., p. 21.

[111] Fischbach, op. cit., p. 62.

[112] La compétence est, au sens fort, un « dispositif » (cf. Thèse n° 16) ; or les dispositifs, au sens d’Agamben, constituent l’ensemble « de ce qui soustrait les choses, les lieux, les animaux ou les personnes à l’usage commun […] » (Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, trad. Martin Rueff, Payot & Rivages, coll. Poche, 2007, p. 39, cité par Fischbach, op. cit., p. 35).

[113] Marx, Manuscrits de 1844 (trad. F. Fischbach, Vrin, 2007, p. 166-167), cité par Franck Fischbach, op. cit., p. 141-142. Fischbach rapproche la phrase de Marx de celle de Feuerbach dans L’Essence du christianisme : « sans objet l’homme n’est rien » (L’Essence du christianisme, in Manifestes philosophiques, trad. L. Althusser, PUF, 1973, p. 61). / Sur l’affaiblissement politique considérable impliqué pour les employés par le basculement d’une logique de la qualification et du métier à une logique des compétences : voir Thèse n° 13 [à venir]. « La “qualification” jouait le rôle de protection du statut que tenaient les corporations au Moyen Âge, elle était le résultat d’une négociation entre patrons et syndicats. La compétence, quant à elle, individualise le rapport entre le salarié et son patron et le soumet à une évaluation de moins en moins fondée sur le compromis social. » (Angélique Del Rey, À l’école des compétences. De l’éducation à la fabrique de l’élève performant, La Découverte, rééd. 2013, p. 69)

[114] C’est exactement aussi le mouvement que nous avons observé à l’intérieur de l’école (voir Thèse n° 11 sur Foucault) : plus on subjective l’élève, c’est-à-dire plus on déplace et centre l’enseignement sur lui (sur le sujet, et non plus sur l’objet d’enseignement), et plus on produit un enseignement qui est disziplin-disciplinaire. Il ne s’agit plus tant pour les enseignants de présenter aux élèves des objets du monde, que de former ces élèves en tant qu’élèves, de les éduquer (à être des (bons) sujets).

[115] Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, op. cit., p. 42. (Cf. Thèse n° 16, notes 41 et 46, in lundimatin n° 465, 4 mars 2025). / Notons cependant qu’Agamben finit par indiquer un infléchissement actuel impliquant que l’on passe de dispositifs de subjectivation à des « processus de désubjectivation » (Agamben, op. cit., p. 44). Mais nous suivons ici Franck Fischbach qui interprète ce mouvement en faisant remarquer qu’Agamben entend par ce terme non une disparition de la subjectivation, mais une multiplication des subjectivations possibles pour un même sujet, et donc d’une « dissémination ». Quand Agamben parle de « désubjectivation » en effet, il « veut dire que ces subjectivités, qui ne sont plus produites que de façon spectrale et larvée, sont des subjectivités essentiellement impuissantes » (Fischbach, op. cit., p. 33).

[116] Fischbach, op. cit., p. 192.

[117] Fischbach, op. cit., p. 157.

[118] Fischbach, op. cit., p. 158. Sur le primat accordé, du point de vue pédagogique, au « faire » sur l’accueil « passif », voir Thèse n° 8 (lundimatin n° 412, 28 janvier 2024). « L’aliénation consiste alors dans le fait de ne plus pouvoir se comprendre et se vivre autrement que comme un sujet purement actif, mais absolument impuissant. » (Fischbach, op. cit., p. 159) Sur cette question, Fischbach renvoie également à Zizek : « Le sujet interpassif », in La Subjectivité à venir, trad. F. Théron, Castelnau-le-Lez, Éditions Climats, 2004 ; et Subversions du sujet, Rennes, PUR, 1999. « Le travail vivant est l’acte même d’abolir et de supprimer la séparation entre la simple capacité de travail et les conditions de sa propre mise en œuvre […]. » (Fischbach, op. cit., p. 162)

[119] Fischbach, op. cit., p. 34.

[120] Fischbach, op. cit., p. 21.

[121] Dans le cas des disciplines, également : l’enseignant de mathématiques entretient un certain rapport à ses objets (théorème, nombre, ensemble, suite) ; l’enseignant de littérature aux siens (texte, mot, poème, figure, etc.). Sur les ethos fach-disciplinaires, voir Thèse n° 11, note 101 (lundimatin n° 412, 28 janvier 2024).

[122] « cura, ae, f : / 1 soin […] 2 administration d’une chose publique […] 3 travail […] 4 souci, sollicitude, inquiétude […] 5 souci amoureux […] amour. » (Gaffiot, p. 456)

[123] Fischbach, op. cit., p. 156.

[124] Fischbach, op. cit., p. 163 (citation tirée des Grundrisse : trad. fr., op. cit., t. 1, p. 304). / « valeur d’usage, le travail ne l’est que pour le capital » (Marx, ibid., t. 1, p. 245).

[125] Fischbach, op. cit., p. 163.

[126] Fischbach, op. cit., p. 15.

[127] « Mais tout cela dépend de quelque chose qui se joue avant le procès de travail, au moment décisif de l’échange entre le travail et le capital : que le travailleur soit empêché de considérer l’actualisation de sa capacité de travail comme étant sa propre réalisation, “que son propre travail lui soit donc étranger – tout aussi étranger que le matériau et l’instrument”, et que, “en conséquence, le produit [de son travail] lui apparaisse comme une combinaison de matériau d’autrui, d’instrument d’autrui et de travail d’autrui – comme propriété d’autrui” (Grundrisse, t. 1, p. 401-402). » (Fischbach, op. cit., p. 185-186) / Remarquons que si à l’inverse la discipline ou le métier procure nécessairement un ethos (dans le sens indiqué), il n’y a pas de garantie cependant à ce qu’un tel ethos soit moralement défendable : une discipline, un métier, peut bien produire également le pire : dans une discipline, comme dans un métier, l’ethos est toujours aussi en question (il y a différentes manières d’être boucher, menuiser, mathématicien…). Mais au moins est offert un lieu où un ethos peut exister et être en question : la discipline, le métier. La logique de la compétence est la destruction d’un tel lieu.

[128] Cf. Arendt, Condition de l’homme moderne, trad. Georges Fradier, Calmann-Lévy, coll. Agora, 1961 et 1984, p. 320. / Où l’on voit qu’à l’inverse le lieu d’une « résistance possible » à la puissance d’indifférence et d’amoralité du capitalisme et de la compétence réside dans le lien entretenu avec des objets ; dans le lien entretenu avec certains objets dans le monde.

[129] Fischbach, op. cit., p. 165-166.

[130] Fischbach, op. cit., p. 166.

[131] Fischbach, op. cit., p. 157.

[132] Nous écrivons ici « besoins socialement nécessaires » pour distinguer des « besoins réels », pris en un sens positif (chez Marx par exemple). Cf. Nota Bene n° 3 ci-dessous.

[133] Fischbach, op. cit., p. 203.

[134] Ibid.

[135] Ibid.

[136] Marx, Grundrisse, trad. fr., op. cit., t. 2, p. 185, cité par Fischbach, op. cit., p. 260.

[137] Fischbach, op. cit., p. 260.

[138] Ibid.

[139] Fischbach, op. cit., p. 259. « Sous l’emprise du capital, la production même des besoins participe paradoxalement de la fabrication de nos existences comme de celles d’êtres sans besoins, d’êtres dépossédés, expropriés, privés de leurs besoins. » (ibid., p. 258)

[140] Fischbach, op. cit., p. 257. La citation est tirée de : Freud, Deuil et mélancolie, in Œuvres complètes, t. 13, PUF, 1988, p. 272.