Ah, les langues minoritaires de France ! Voilà un sujet sur lequel des personnalités pourtant cultivées comme Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Benjamin Morel et quelques autres multiplient les affirmations les plus hasardeuses, quand ce ne sont pas les balourdises les plus hénaurmes… Des célébrités auxquelles l’historienne Rozenn Milin et le sociolinguiste Philippe Blanchet Lunati ont entrepris de répondre sur le seul terrain qui vaille, celui des faits, à travers un ouvrage aussi réussi sur le fond que sur la forme (1). Une série de chapitres très courts s’ouvrant sur des idées reçues, suivies d’une réfutation incontestable en quelques pages. En voici quelques illustrations.
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« Ce sont uniquement des langues orales. » Raté ! La plupart des langues de France sont écrites depuis aussi longtemps que le français et ont donné lieu à des créations dans tous les domaines, qu’il s’agisse de poésie, de romans, de théâtre, d’essais ou de BD, sans oublier des productions d’ordre administratif, technique ou scientifique. Pour ne citer qu’un seul exemple : il existe un traité médical rédigé partiellement en breton datant du tournant des IXe et Xe siècles.
« Elles n’ont pas de grammaire. » Pas de chance non plus, toutes les langues possèdent une grammaire : un certain ordre des mots, des règles de conjugaisons, des manières singulières d’accorder ou non les noms, les verbes, les adjectifs… Et cela pour une raison élémentaire : à défaut, leurs locuteurs ne se comprendraient pas ! Vous doutez encore ? Eh bien sachez que l’on trouve en gascon un temps disparu en français (le futur du passé) ; que le basque distingue le tutoiement masculin du tutoiement féminin ; que le haméa (une langue kanake) possède un système de comptage mêlant les bases 5, 10 et 20 et que le breto
n connaît des mutations de lettres en début de mots selon le genre, le nombre ou le terme qui le précède… Un joli démenti apporté à l’académicien Jean-Marie Rouart, affirmant en 2008 : « Le terme « langues » pour les idiomes des régions me paraît abusif. Il s’agit plutôt de patois, de dialectes. »
« Ce sont des langues du passé. » L’image de langues réservées au monde rural – avec ce que cela suppose de mépris dans certains milieux – colle à la peau des langues de France autres que le français. Rozenn Milin et Philippe Blanchet Lunati rappellent donc aux distraits que l’alsacien fut longtemps parlé à Strasbourg et le provençal à Marseille, pour n’évoquer que ces deux villes. Ils soulignent également que toutes les langues peuvent tout dire, y compris les réalités sociétales les plus modernes. Une BD en provençal a été ainsi consacrée par le Centre de recherche de Cadarache à la… fusion nucléaire.
« Elles n’intéressent personne. » Non seulement ces langues comptent toujours plusieurs millions de locuteurs, mais une large partie de l’opinion exige leur développement. Le taux de soutien à l’occitan, au catalan ou au créole réunionnais oscille ainsi entre 80 et 92 % dans leurs régions respectives. Mieux : 72 % de la population française totale se déclarent favorables à leur reconnaissance officielle et à leur protection. En réalité, les langues régionales n’intéressent pas la plupart des responsables politiques, administratifs et médiatiques parisiens, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
« Elles ne permettent pas de trouver du travail. » Les médias, l’édition, l’université et l’éducation recrutent des personnes maîtrisant les langues régionales. Confrontées à leur succès croissant, les écoles bilingues et immersives manquent même de candidats.
« Il faut une seule langue par pays. » Cliché. Non seulement une langue uniquen’est pas nécessaire à l’unité d’un pays, mais, dans les Etats plus respectueux de la diversité linguistique, une grande partie de la population est polyglotte – ce qui, par parenthèse, représente un réel atout dans une économie mondialisée. Le Royaume-Uni accorde ainsi un statut de co-officialité au gallois au Pays de Galles et au gaélique écossais en Ecosse. L’Inde compte 22 langues officielles. La Suisse possède quatre langues nationales. Au Luxembourg, le luxembourgeois, l’allemand et le français sont langues administratives. En Slovénie, l’italien et le hongrois disposent d’un statut officiel dans les régions longeant les frontières italienne et hongroise. Au Canada – à majorité anglophone – le français est langue officielle au Québec. Et la liste pourrait être encore allongée sans difficulté. Conclusion : c’est surtout en France que l’on confond les notions de langue commune et de langue unique.
« Les langues régionales menacent l’unité nationale. » Idée reçue, là encore. Il existe au moins 7 000 langues dans le monde pour 200 Etats. Si cette assertion était validée par les faits, on devrait donc recenser quelque 6 800 demandes d’indépendance ce qui, jusqu’à plus ample informé, n’est pas exactement le cas. L’Histoire le montre : la plupart des conflits ont des causes politiques, religieuses ou territoriales, et non linguistiques. L’un des plus grands génocides du XXe siècle a ainsi opposé au Rwanda les Hutus aux Tutsis, deux peuples partageant la même langue. Alors que le Vanuatu, archipel de quelque 300 000 habitants, compte une centaine de langues et ne connaît pas de mouvement séparatiste.
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(1) Langues régionales : idées fausses et vraies questions, par Rozenn Milin et Philippe Blanchet Lunati (Editions Héliopoles).
Du côté de la langue française
Comment défendre la science en français dans la mondialisation ?
De nombreux travaux scientifiques de qualité continuent d’être produits en français, mais ils sont souvent marginalisés dans les circuits mondiaux. Le Congrès de l’Acfas (ex-Association canadienne-française pour l’avancement des sciences), qui s’est tenu à Montréal du 6 au 10 mai, a cherché à répondre à cet enjeu majeur, relate cet article du Petitjournal.com.
Y a-t-il un rapport entre « pape » et « papa » ?
La réponse est oui, bien sûr, puisque, à l’origine, « pape » veut tout simplement dire « papa ». Cette appellation familière a été reprise au IIIe siècle comme titre d’honneur pour les évêques. C’est à partir du IXe siècle que l’évêque de Rome a été le seul à pouvoir le conserver, explique cet article de qualité du site Etymologistan, rédigé par un ancien élève de Normale sup, par ailleurs agrégé de grammaire.
Assistez au bac philo des humoristes le 16 juin à Bobino
La 5e édition de ce spectacle imaginé et présenté par Karim Duval mêlera comme son nom l’indique humour et philosophie. Le concept ? Le soir même de l’épreuve, huit humoristes traitent les sujets sur lesquels auront planché les lycéens le matin. Sans épreuve de rattrapage !
Les nouveaux mots du Petit Robert
Selon Le Petit Robert, qui vient de présenter son édition 2026, le français fait de la résistance, y compris dans le domaine des nouvelles technologies. « Le mot hypertrucage, proposé par l’Office québécois de la langue française pour remplacer deepfake, gagne du terrain (y compris en France), et lorsqu’on reproduit une voix, on parle de clonage vocal, indique Géraldine Moinard, sa directrice. Quant au résultat incorrect ou trompeur produit par une intelligence artificielle générative, il est désigné par le mot hallucination, qui date du XVIIe siècle et se voit ainsi doté d’une signification supplémentaire. » Une nuance qui n’empêche pas l’arrivée d’autres anglicismes comme chill, chemsex, drag ou gravel…
Retour à la parole, par Julien Barret
Les concours d’éloquence en témoignent : l’art oratoire est de nouveau valorisé. Dans cet essai, Julien Barret explique ce retour en grâce, retrace l’histoire de la prise de parole en public et souligne à quel point celle-ci revêt aujourd’hui un enjeu majeur pour la réussite des individus, des entreprises et des organisations.
Retour à la parole, par Julien Barret (Actes Sud).
Du côté des autres langues de France
Interdiction du corse à l’Assemblée de Corse : décision politique ou juridique ?
Anne Baux, la présidente du tribunal administratif de Bastia, vient de défendre sur Via Stella l’invalidation de l’usage du corse dans les débats de l’Assemblée de Corse. Selon elle, cette décision n’aurait « rien de politique » mais rappellerait simplement qu’au regard de l’article 2 de la Constitution (« La langue de la République est le français »), le corse ne peut avoir priorité sur le français. Le sociolinguiste Pascal Ottavi lui répond en soulignant que, dans le règlement intérieur de l’Assemblée de Corse, il n’est dit nulle part que le corse a priorité sur le français. « Ce n’est donc pas l’article en lui-même qui pose problème, mais bien l’interprétation univoque qui en est systématiquement faite », estime-t-il. Selon lui, la présidente du tribunal ne s’est pas contentée de dire le droit, mais a bel et bien émis « un point de vue politique ». Le 14 mai, le rapporteur public du Conseil d’Etat s’est opposé à la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité sur ce sujet au Conseil constitutionnel. La décision définitive sera rendue dans les trois mois
Formation des maîtres : le collectif « Pour que vivent nos langues » écrit à Bayrou
Dans les textes que vient de publier le ministère de l’Education nationale, aucune mention n’est faite de la place des langues régionales dans les nouveaux parcours de formation à compter de 2026. Une situation alarmante qui a conduit le collectif « Pour que vivent nos langues » (regroupant des acteurs engagés en faveur des langues minoritaires) à alerter le Premier ministre François Bayrou, traditionnel soutien des langues dites régionales.
Langues régionales : comment trouver des subventions auprès du ministère de la Culture ?
La délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) vient de publier un vade‑mecum synthétisant les aides aux langues dites régionales. Le budget est (très) modeste, mais les petits ruisseaux…
Hestiv’Òc, le festival des cultures occitanes, fête ses 20 ans
La vingtième édition de ce festival dédié aux cultures occitanes se tiendra à Pau (Pyrénées-Atlantiques) du 21 au 24 août. Au programme : une quarantaine d’artistes, 12 scènes, un espace jeunesse sans oublier le village gourmand, un adjectif qui, en Béarn, prend tout son sens.
En Moselle, apprendre le luxembourgeois, c’est tendance
80 000 salariés français travaillent dans le Grand-Duché et les demandes de formation au luxembourgeois explosent. Un apprentissage facilité pour ceux qui connaissent le francique mosellan, la langue historique de la région.
Du côté des langues du monde
La Chine multiplie les instituts Confucius en Afrique
De nombreux instituts Confucius voient le jour en Afrique. Un moyen pour la Chine d’étendre son influence sur le continent, en faisant notamment miroiter les possibilités d’emplois offertes par le mandarin. Et l’occasion de concurrencer les puissances européennes, en particulier la France.
Le Maroc respecte-t-il mieux que la France ses langues régionales ?
Telle sera la question posée en filigrane le 5 juin lors du débat organisé à 17 heures à La Ciutat de Pau dans le cadre du festival « Ecrire la nature », organisé par Cédric Baylocq-Sassoubre. L’écrivain Sèrgi Javaloyès et l’historien Mehdi Ghouirgatne, tous deux occitanophones et connaisseurs du Maghreb, échangeront sur le thème « Amazigh-Occitan : comparaison des modèles marocain et français de reconnaissance des langues et cultures régionales ». Entrée gratuite.
A écouter
Français régional : et chez vous, ça se dit comment ?
Une émission sérieuse sur un sujet souvent traité de manière anecdotique : ce n’est pas si fréquent. Je vous recommande donc cet épisode de Grand bien vous fasse, animé par Ali Rebeihi, consacrée aux français régionaux. Autrement dit : l’influence des langues régionales dans le vocabulaire, la syntaxe ou la prononciation du français à Marseille, à Toulouse, à Amiens, à Strasbourg et ailleurs.
A regarder
1 850 postes exigent des locuteurs du breton
L’Office public de la langue bretonne recense plus de 1 850 postes pour lesquels il est nécessaire de parler breton. Illustration avec le forum de l’emploi en langue bretonne, qui s’est tenu récemment à Ploemeur (Morbihan).
Peut-on vraiment tout traduire ?
Y a-t-il vraiment des mots ou des concepts intraduisibles ? La traduction reflète-t-elle les rapports d’inégalités entre les langues ? Autant de questions auxquelles répond, dans cette émission d’Arte, le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, enseignant à l’université Columbia de New York.
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