« J’ai pris la décision d’une opération militaire spéciale de démilitarisation et de dénazification de l’Ukraine. » Le 24 février 2022, c’est en ces termes que Vladimir Poutine tente de justifier l’invasion de son voisin. Trois ans plus tard, les combats se déroulent toujours et sur le champ de bataille et sur le front des mots car, dans tout conflit, le vocabulaire aussi joue un rôle essentiel. La guerre déclenchée par Moscou en offre une parfaite illustration, qui sert de trame au très intéressant ouvrage rédigé par la chercheuse Amélie Férey (Les mots, armes d’une nouvelle guerre ?, Editions temps de parole, le Robert).

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On dira, et l’on n’aura pas tort, que la légitimité a de tout temps constitué un enjeu dans les affrontements militaires. Hitler n’envahit-il pas l’Autriche et la Tchécoslovaquie au nom du prétendu « droit » du Reich à un « espace vital » ? Il demeure que la situation a pris aujourd’hui une nouvelle dimension. Avec quelque 15 milliards de téléphones portables sur la planète et la multiplication des réseaux sociaux, l’information circule désormais beaucoup plus vite. Volodymyr Zelensky a d’ailleurs parfaitement intégré cette donnée en arborant des tee-shirts kaki et en sous-titrant en anglais ses discours. La bataille de l’opinion internationale se joue en partie là.

Les infox elles aussi se répandent comme une traînée de poudre, et la Russie les utilise sans vergogne. Elle a ainsi créé une vidéo truquée dans laquelle on peut entendre un faux Zelensky lancer un appel à « déposer les armes ». Elle recourt également à l’envi aux robots et à l’intelligence artificielle. Lors de « l’opération Doppelgänger », elle a diffusé de pseudo-articles inspirés du Monde ou de la chaîne de TV5 Monde insistant sur le coût du soutien à l’Ukraine pour les Européens… Au besoin, Poutine adapte ses arguments. Accuser un homme de confession israélite comme Zelensky d’être proche de l’idéologie nazie était un peu gros ? Qu’à cela ne tienne. Le chef du Kremlin a ensuite soutenu que son ennemi était « une honte pour le peuple juif ». Pile, je gagne. Face, tu perds…

Le président ukrainien rappelle pour sa part qu’il agit au nom de son peuple, lequel a régulièrement exprimé sa volonté de se rapprocher du camp occidental, que ce soit au moment des élections ou pendant les manifestations monstres de la place Maïdan, en 2014. Aussi, lors de sa campagne présidentielle en 2019, a-t-il souligné que l’orientation proeuropéenne de l’Ukraine ne correspondait pas simplement à son inclination personnelle, mais à un dessein collectif. « Les Ukrainiens ont déjà choisi l’intégration européenne. »

Poutine, dans le même temps, essaie d’imposer une autre conception de la souveraineté. L’Ukraine, selon lui, n’est rien d’autre que le « berceau de la Russie ». Ne lui était-elle pas rattachée du temps des tsars et de l’URSS ? De là une rhétorique désormais bien rodée. « L’Ukraine est une partie intégrante de notre histoire, de notre culture, de notre continuum spirituel. » « L’Occident cherche à diviser la Russie historique. » « L’Ukraine est un Etat artificiel. » « Les Ukrainiens se sentent encore russes. » Et ainsi de suite.

La même bataille sémantique fait rage concernant l’Otan. Selon Poutine, une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’organisation militaire unissant l’Europe, les Etats-Unis et le Canada constituerait un danger pour son pays. « L’extension de l’Otan vers l’est est une menace directe pour la sécurité de la Russie », affirmait-il dès le 21 février 2022. Ce à quoi Zelensky a beau jeu de rétorquer qu’instruits par l’Histoire, les peuples de l’ancienne « Europe de l’Est » cherchent simplement à se protéger de l’agressivité de leur grand voisin. « L’invitation de l’Ukraine à adhérer à l’Otan est nécessaire à notre survie », soulignait-il en 2024 à Kiev.

Depuis trois ans, il peine pourtant à convaincre les Occidentaux de se mobiliser suffisamment pour Kiev. Il n’a pourtant de cesse de montrer les implications potentielles du conflit qui se déroule sur son sol – pour l’instant. « L’objectif de la guerre actuelle est de transformer nos vies, nos ressources en une arme contre vous, contre l’ordre international fondé sur des règles », insistait-il ainsi devant l’ONU en septembre 2023. Une rhétorique qui se heurte à l’indifférence totale de Donald Trump. On ne sache pas que Poutine soit un grand démocrate ni que l’Ukraine ait attaqué la Russie ? Peu importe. Aux yeux du président américain, Zelensky est un « dictateur » qui n’aurait « jamais dû commencer cette guerre ». Des déclarations ahurissantes, certes, mais qui, au fond, ne font qu’illustrer son concept de « vérité alternative ».

La guerre des mots, encore.

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A lire – du côté de la langue française

Une cartographie fascinante des deux racines du mot « thé »

Cette boisson qui a conquis la planète porte deux noms – et deux noms seulement – dans toutes les langues du monde. [Té] dans les pays où il est arrivé par la mer et [cha] là où il est arrivé par la terre. Ce qu’illustre en image cette carte étonnante.

Décès d’Antonine Maillet, ambassadrice de la langue française en Acadie

L’écrivaine Antonine Maillet s’est éteinte à 95 ans ce 17 février. Elle avait acquis une forte notoriété en France lorsque son roman Pélagie-la-charrette avait obtenu le prix Goncourt en 1979. Spécialiste de Rabelais – qui a influencé son écriture – elle était considérée comme une porte-parole et une ambassadrice de la culture acadienne.

Le français recule au Liban

Le Liban fut longtemps le porte-étendard de la francophonie au Proche-Orient. Ce temps n’est plus. Si 38 % de la population du pays peut encore s’exprimer en français, le nombre d’élèves le choisissant comme première langue étrangère y a baissé de 20 % depuis vingt ans. La première place est désormais occupée par l’anglais.

Et si l’intelligence artificielle constituait une chance pour la langue française ?

L’intelligence artificielle (IA) est souvent perçue comme une menace pour la diversité linguistique, notamment face à la domination de l’anglais. Telle n’est pas l’analyse de Thibault Grouas, chef de la mission « langue et numérique » à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) et président de l’Alliance pour les technologies des langues (Alt-Edic). Selon lui, l’IA représente au contraire un formidable atout pour le français et, plus généralement, les langues européennes.

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Poutine impose le russe dans les territoires ukrainiens occupés

Dans les écoles ukrainiennes sous occupation, la langue et les programmes scolaires ukrainiens ont été supprimés et remplacés par le programme scolaire et la langue russes.

Joan Petit qui danse : derrière la chanson populaire, une histoire tragique

C’est une comptine en oc très connue qui comprend une énumération des parties du corps : le doigt, la main, le bras, la tête… Or, derrière ces paroles a priori anodines se cache un épisode méconnu et cruel de l’histoire de France : la répression féroce, au XVIIe siècle, de la révolte des Croquants, dans le Rouergue, écrasés par les impôts. Son meneur, Joan Petit, avait été arrêté et démembré par les soldats de Louis XIV, comme le rappelle également ce très intéressant reportage de Viure al pais.

2025, l’année Max Rouquette

Le journal Le Monde l’a présenté comme « le plus grand écrivain de langue d’oc ». Max Rouquette est l’auteur d’une œuvre foisonnante écrite en occitan, que ce soit en prose, en poésie ou au théâtre, dont Verd paradís (Vert Paradis), un recueil de contes réunis en 7 volumes. Vingt ans après sa mort, survenue en juin 2005, une série d’événements est organisée pour lui rendre hommage.

Quand Elisabeth Borne s’oppose aux langues régionales

La ministre de l’Education nationale a été interpellée par la sénatrice girondine Monique de Marco à propos de l’enseignement des langues régionales. Tout en reconnaissant que « le bilinguisme favorise le développement cognitif et l’apprentissage de langues nouvelles », Elisabeth Borne s’est opposée à son amendement qui prévoyait d’augmenter les financements accordés à ces matières dans le second degré.

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En Flandre belge, un simple « bonjour » déclenche une polémique

Un passager a porté plainte contre un contrôleur de la Société des chemins de fer belges car ce dernier avait dit « bonjour » aux usagers en flamand et en français. Sa « faute » ? Le train circulait alors en région flamande et l’employé était censé s’exprimer uniquement en flamand.

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5 minutes pour comprendre les blocages français sur les langues régionales

Côté pile, Romain Colonna est un sociolinguiste spécialiste des langues minoritaires. Côté face, Romain Colonna est un élu nationaliste, siégeant à l’Assemblée de Corse, où l’usage du corse vient d’être interdit par la cour administrative d’appel de Marseille. De manière pédagogique, il s’interroge ici sur les étranges interprétations juridiques ayant cours sur cette question et rappelle que, comme le souligne régulièrement l’ONU, la France ne respecte pas le droit international en la matière.

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