Rencontre avec Gérald Bronner, professeur de sociologie à l’Université Paris Sorbonne, membre de l’Académie de médecine et de l’Académie des Technologies. Il a développé en 2024-2025 un cycle de conférences en partenariat avec la Fondation Descartes pour apprendre à développer son esprit critique face au monde de la désinformation et livre quelques recommandations.

1. Comment expliquer l’augmentation croissante du nombre de fake news propagées sur la santé ?

La question de l’augmentation du nombre de fake news propagées à propos de la santé pose problème, puisqu’il faudrait déjà pouvoir la mesurer. En réalité, la fausse information sur les questions de santé ne date ni d’aujourd’hui, ni des réseaux sociaux, mais de toujours. A chaque fois qu’une épidémie a traversé le corps social, des théories du complot et des rumeurs l’ont accompagnée, car face à l’incertitude et au hasard de la nature, on cherche souvent à donner un sens à ce qui n’en a pas forcément.

Les argumentaires, antivaccins par exemple, ont toujours existé de façon confinée dans des espaces de radicalité. Ils peuvent être convaincant à partir du moment où l’on n’a pas le contre-argumentaire. Mais ils essaiment aujourd’hui partout dans l’espace public. J’y vois d’abord l’activité des « super spreaders », ces personnes motivées à diffuser de la fausse information parce qu’elles sont persuadées qu’elle est vraie. Dans l’exemple des antivaccins, 1 % des comptes sur les réseaux sociaux produisent 33 % de l’information disponible, et cette asymétrie est amplifiée par les algorithmes. Or, toute alerte fondée sur la peur, comme la peur sanitaire par exemple, retient notre attention. Il faut aussi souligner que notre cerveau a tendance à multiplier les faibles probabilités de risque par 10 ou 15 et cette appétence pour le risque en fait un très bon produit cognitif.

2. Quelles sont les fake news en santé les plus préoccupantes ?

Ce sont avant tout celles qui incitent à s’éloigner de la « vraie médecine », soit toutes les pseudo-médecines qui soufflent à l’oreille de ceux qui y croient qu’il vaudrait mieux s’abstenir de faire une chimiothérapie par exemple. Encourager à s’abstenir de soins compte parmi les fake news les plus dangereuses et elles sont généralement punies par la loi.

3. Quel rôle a joué la crise Covid dans cette tendance ? Et les réseaux sociaux ?

La pandémie a probablement servi d’incubateur de crédulité, d’abord parce qu’un certain nombre de personnes ont commencé à se préoccuper de ces questions, alors qu’elles ne focalisaient pas leur attention dessus auparavant.

D’autre part, parce que la demande d’information a été forte face à cet incroyable événement historique. Le premier jour du confinement en France, un pic de recherches Google sur les thèmes « complot » et « conspiration » a été franchi. On note donc une corrélation temporelle entre le confinement et les suspicions quant à l’origine de la maladie, (l’industrie aurait un rôle à jouer, les antennes 5G auraient favorisé le développement de la pandémie…).

La pandémie a également fait se rencontrer deux continents qui se parlaient peu : le conspirationisme, d’une part, et l’approche spirituelle de la santé basée sur des ondes, des énergies et toutes sortes de pseudo-médecines, d’autre part : le « conspiritualisme », c’est-à-dire la fusion intellectuelle entre le spiritualisme et les théories du complot. Beaucoup de ces acteurs ont dès-lors développé sur les réseaux sociaux des théories du complot. Réciproquement, les acteurs des théories du complot se sont mis à s’intéresser de très près aux questions vaccinales, un sujet qu’ils traitaient peu avant la pandémie.

4. Comment les pouvoirs publics, les scientifiques et la société civile peuvent-ils les contrer ? Pourquoi certains accordent si peu de confiance aux sources dites officielles ?

Chacun peut être acteur à son niveau. Le premier travail est de ne pas laisser la chaise vide. Comme le disait John Stuart Mill, « Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’apathie des gens de bien et de raison ». Nous ne devons pas les laisser faire. Il est donc fondamental de développer l’esprit critique, c’est-à-dire, notre « système immunitaire intellectuel ». C’est pour cela que je dispense des cours d’université populaire ouverts à tous, en espérant que chacun va pouvoir défendre sur les réseaux sociaux une forme plus optimale de raisonnement. Il ne s’agit pas de dire qui est dans le vrai ou le faux, mais de mettre en exergue les fragilités de certaines modes de démonstration.

Nous pouvons également faire des efforts pour défaire la fausse information. On sait que tout ce qui est désintox ne fonctionne pas toujours très bien sur les croyants, mais un certain nombre de nos concitoyens sont indécis et démunis, en particulier sur les questions de santé publique, et sur la vaccination en particulier. Des questions telles que : « les adjuvants en aluminium sont-ils dangereux pour notre cerveau ? » sont très techniques, ce qui peut donner envie d’abandonner le sujet ou de se précipiter sur les premières propositions intuitives. C’est de cela dont il faut se méfier.

On voudrait pouvoir modérer les réseaux sociaux et que les propriétaires de ces plateformes fassent des efforts, mais nous n’allons pas dans ce sens. Reste notre bonne volonté et notre cerveau.

5. Dans votre rapport, Les lumières à l’ère numérique, rendu public en 2022, vous évoquez de nombreuses recommandations. Pourriez-vous en présenter les principales ?

Nous étions 14 à rendre au Président de la République un rapport sur les perturbations de l’espace démocratique par les mondes numériques. Trente recommandations ont été faites, dont la régulation algorithmique, qui devient hors de notre portée. Mais certaines sont à notre main. Une véritable révolution pédagogique doit être opérée au niveau du ministère de l’Education nationale. Il est essentiel d’apprendre à écrire, lire, compter, mais aussi à raisonner et à se méfier de ses propres intuitions quand elles sont fausses. J’appelle de mes vœux cette recommandations pédagogique. Je propose qu’une des prochaines Grandes causes nationales soit la défense de la rationalité et de l’esprit critique.


Pour en savoir plus :

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