
Mieux comprendre comment les mutations affectent le risque et le développement de maladies, c’est la mission que se sont donnée ces scientifiques de l’Institute of Science and Technology Austria (ISTA) qui proposent un nouveau cadre plus global et plus durable pour étudier les maladies polygéniques. L’équipe livre ainsi dans les Actes de l’Académie des Sciences américaine (PNAS) des modèles statistiques pour des prédictions génomiques, mais avec une nouvelle compréhension des mécanismes biologiques sous-jacents.
De nombreux modèles et algorithmes statistiques ont été proposés par des équipes scientifiques. Tels des « boîtes noires », ces modèles visent à apporter des prédictions précises des risques de maladies, cependant les mécanismes moléculaires sous-jacents restent mal compris. Les nouvelles technologies apportées par l’intelligence artificielle (IA) dont l’apprentissage profond, permettent de traiter une quantité toujours croissante de données qui permet aujourd’hui de prendre du recul dans le diagnostic, via l’analyse des données génomiques.
Rappelons en effet que le génome humain est composé d’environ 20.000 gènes et d’un nombre encore plus important de paires de bases, c’est pourquoi une grande puissance statistique est essentielle pour mener les « études d’association pangénomique » (GWAS) qui permettent de commencer à le décrypter.
Les derniers modèles statistiques permettent en effet d’analyser les « maladies polygéniques », où de nombreuses régions du génome contribuent à un dysfonctionnement et finalement au risque et au développement d’une maladie donnée. Mais, grâce à l’IA, ces modèles permettent également d’aller plus loin en apportant une nouvelle compréhension des mécanismes initiés par ces régions génomiques qui contribuent à ces différentes maladies.
Avec l’IA, combiner l’analyse génomique de pointe et nos connaissances en biologie fondamentale
Ces travaux sont menés dans la lignée du Human Genome Project lancé en 1990 pour décoder entièrement l’ADN humain, le plan génétique qui définit les humains. Dès 2003, le projet avait ouvert la voie à de nombreuses avancées scientifiques, médicales et technologiques. En déchiffrant le code génétique humain, les scientifiques espéraient dès le départ en apprendre davantage sur les maladies liées à des mutations et aux variations spécifiques du « script génétique ».
Beaucoup de gènes, beaucoup d’interactions : ce volume de données constituait jusque-là un défi infranchissable.
- Pour mener les GWAS qui visent à identifier les variantes génétiques pouvant être liées à des caractéristiques de l’organisme ou à la propension à différentes maladies, le préalable statistique est déjà exigeant, car il s’agit d’analyser l’ADN d’un très grand nombre de participants sains et malades.
- Ensuite, « vient » le nombre de variations ou de mutations liées à une seule maladie, soit « des centaines ou des milliers de mutations liées à une maladie spécifique, une révélation surprenante et en contradiction avec la compréhension que nous avions de la biologie », expliquent les experts.
- Enfin, chaque mutation a un impact ou une contribution souvent minime au risque de développer une maladie. Collectivement, elles peuvent mieux expliquer, mais pas complètement, pourquoi certains individus développent la maladie. C’est pourquoi ces maladies sont dites « polygéniques ». Et c’est pourquoi l’analyse doit être particulièrement fine.
De nouveaux modèles d’analyse ont donc émergé, comme le « modèle omnigénique » qui propose ainsi par cette contribution minime d’un très grand nombre de variations, une explication de la raison pour laquelle tant de gènes contribuent aux maladies : les cellules possèdent des réseaux de régulation qui relient les gènes à diverses fonctions. Les gènes étant interconnectés, une mutation dans un gène peut avoir un impact sur d’autres, car l’effet mutationnel se propage à travers le réseau de régulation.
Aujourd’hui, grâce à la puissance de calcul de l’IA, de nouveau modèles permettent de prédire les niveaux d’expression génétique (l’intensité de l’activité génétique, indiquant la quantité d’informations de l’ADN activement utilisée) et la manière dont les mutations se propagent dans le réseau de régulation cellulaire. Leurs prédictions se révèlent très efficaces et durables, les mutations identifiées étant de plus en plus et véritablement susceptibles de contribuer à un résultat spécifique.
Alors qu’une analyse de type GWAS standard fonctionne comme une « boîte noire », offrant un compte rendu statistique de la fréquence à laquelle une mutation particulière est liée à une maladie, ces nouveaux modèles offrent généralement une visibilité sur les mécanismes moléculaires en cause, soit :
- comment cette mutation peut conduire à une maladie ;
- comment on pourra mieux détecter, prévenir, traiter.
En médecine, la compréhension du contexte biologique et de ces voies causales a d’énormes implications pour la recherche et le développement de nouvelles options thérapeutiques. « Si l’on dispose de suffisamment de connaissances sur les réseaux de régulation, on peut également construire des modèles similaires, étudier sur ces modèles l’expression des gènes, comprendre « ce qui se passe » et réfléchir aux applications possibles à la génétique humaine ».
A travers cette compréhension « macro » de la génétique, permise aujourd’hui par l’IA mais aussi des siècles de connaissances biologiques, c’est définitivement une nouvelle ère de compréhension, prévention et traitement durables des maladies polygéniques qui s’ouvre.
Sources:
- Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) 23 Oct, 2024 DOI: 10.1073/pnas.2402340121 Quantitative omnigenic model discovers interpretable genome-wide associations
- Cell 21 March, 2019 DOI : 10.1016/j.cell.2019.01.033 Global Genetic Networks and the Genotype-to-Phenotype Relationship
- Nature 8 Oct 2009 DOI : 10.1038/nature08494 Finding the missing heritability of complex diseases
- Genetics in Medicine DOI :10.1097/00125817-200203000-00004 Needs assessment study of genetics education for general practitioners in Australia
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